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L’IMPAIR : Chapitre #23

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Les mois qui suivirent furent difficiles pour mes parents. Pour ma mère, surtout. Elle a encaissé les reproches de ses parents, qui n’en manquaient pas une pour lui rappeler l’échec d’avoir une fille homosexuelle et surtout mariée. Mais elle s’accrochait, et ça me faisait du bien.

S’ils ne voulaient pas entendre parler d’Aurore, le destin, encore une fois, allait forcer la rencontre.

Il restait un membre de la famille qui n’était pas marié, une de mes petites soeurs. Et elle aussi, à son tour, souhaitait se lancer dans l’aventure du mariage avec son fiancé. L’approche d’un nouvel événement comme celui-ci m’angoissait encore, car j’avais peur que l’éternelle scène de l’impair se répète. Mais cette fois-ci, ce ne fut pas le cas.

Ma petite soeur et son fiancé voulaient tout faire pour qu’Aurore soit à nos côtés. Pour une fois, ne pas “taire” ce sujet, ne pas faire comme s’il n’existait pas. Mais au contraire, le faire vivre. C’est pour cela que ma soeur fit une demande originale à Aurore quelques mois avant.

Elle lui demanda d’être son témoin.

Aurore, comme moi, fut très surprise. Pourquoi ? Oui elles s’entendent très bien et depuis le début, mais de là à lui proposer une place si spéciale pour son mariage…

Après avoir fouillé un peu, nous avons compris sa réflexion. Elle nous révéla qu’elle souhaitait qu’Aurore soit son témoin pour être sûre qu’elle puisse être présente au mariage. Et pas seulement présente, mais avec une place entière. C’était la garantie qu’elle ne serait pas “cachée” dans un coin toute la journée et un pied de nez au grands-parents qui seraient présents.

Aurore fut très touchée de cette demande, mais refusa. Elle ne voulait pas que ma soeur lui fasse cette place qui aurait été destinée initialement à une de ses meilleures amies. Elle ne voulait pas que sa présence vienne chambouler ce qui allait être un des plus beaux jours de sa vie.

Cette proposition marquait en tout cas un tournant. L’amour passait désormais en priorité sur le qu’en dira-t-on.

Le jour du mariage, j’étais surexcitée. Aurore allait enfin faire partie d’une journée importante pour la famille, officiellement. Il n’était plus question de la cacher, il n’était plus question que je joue à la grande soeur célibataire. Nous formions un couple officiel, de la même manière que mes autres frères et soeurs et leurs conjoints.

Ce fut une belle journée encore, pleine de joies et d’émotions. Et Aurore était à mes côtés. Il n’y avait plus d’impair. Nous étions désormais un nombre pair. Tout semblait si fluide, si naturel. Nous ne cherchions pas à nous faire remarquer, nous étions un couple parmi tous les autres, c’était une réelle victoire.

Mes grands-parents étaient là. Je n’imaginais pas faire des présentations officielles, je ne voulais pas vivre cette scène. Je ne la fantasmais pas, je ne la rêvais pas, je savais qu’elle était vouée au carnage. Je leur ai dit bonjour, seule, et je les ai évités toute la journée. Mais le hasard fit qu’ils sont tombés chacun leur tour sur Aurore.

D’abord mon grand-père. Elle était seule, dans le jardin, lorsqu’elle l’a croisé avec mon père. Celui-ci lui a présentée. Elle lui a serré la main, poliment : “Bonjour Monsieur.” Lorsqu’il a compris à qui il avait affaire, son visage s’est transformé. Ambiance chargée de gêne pour tous les trois.

Quelques minutes après, elle est entrée dans le salon et a vu ma grand-mère, de dos. Au lieu de traverser la pièce tête baissée, elle y est allée. Elle a fait ce que n’importe quel gendre ou belle-fille irait faire sans sa belle-famille, elle est allée se présenter.

Ma grand-mère ne savait pas qui elle était, elle ne savait pas à quoi elle ressemblait, cette fameuse Aurore. Savaient-ils seulement qu’elle serait là ? Elle lui a serré la main, avec le sourire. Jusqu’à ce qu’Aurore prononce ces mots :

“Bonjour Madame, je suis Aurore.”.

Elle m’a raconté que son visage s’est décomposé. Elle était prise au piège, c’était trop tard. Ils avaient voulu éviter la rencontre, mais ils avaient oublié de regarder avant à quoi ressemblait l’ennemie.

La rencontre s’est arrêtée à ces quelques mots. Il n’y avait rien de plus à dire. Elle avait gagné. Elle avait foncé vers eux, les avait salués avec la plus grande politesse, puis elle était partie.

Je n’ai pas fait attention à eux le reste de la journée, mais j’ai senti, nous avons senti, leurs regards appuyés à chaque fois que nous étions dans leur champ de vision. Ils étaient perturbés, ils ne savaient pas comment se comporter, quoi penser. Ils voyaient bien que nous étions acceptées dans cette réunion de famille, parmi tous ces gens, de manière totalement naturelle. Et ça les sidérait. Ils ne pouvaient rien faire.

Quelques heures plus tard, j’ai surpris une conversation entre ma grand-mère et un ami de la famille. Elle pleurait. Je ne l’avais jamais vue pleurer. Elle lui disait qu’elle souffrait beaucoup, qu’elle ne comprenait pas que je puisse leur faire ça, que je leur faisais beaucoup de peine. Elle avait réellement l’air affecté. Et je bouillonnais. J’étais cachée derrière la porte et j’étais en rage. Une fois de plus, j’étais celle qui fait souffrir, celle qui fait mal, la coupable. Mais elle ne comprenait pas. Elle ne comprenait pas. Je n’en pouvais plus de cette culpabilité que l’on me faisait ressentir depuis toutes ces années. Je ne supportais plus ce sentiment lourd, pesant, d’être une mauvaise personne, d’être celle qui blesse.

Je ne fais pas de mal.

Je ne fais pas de mal.

Me répéter sans cesse cette phrase pour ne pas devenir folle. Pour ne pas laisser vivre cette forme d’homophobie ordinaire qui réside en nous. On naît dans une société qui nous fait grandir avec ce sentiment que l’homosexualité est une mauvaise chose, étrange, gênante, qui détruit l’entourage. Et même moi, intérieurement, j’ai besoin de me rappeler souvent que je ne suis pas une mauvaise personne. Lutter contre cette culpabilité d’avoir été l’objet des souffrances de mes parents et de mes grands-parents.

Je me suis retenue d’intervenir, retenue d’aller la voir et de lui dire combien je trouvais cela nul, nul d’aller se plaindre de ce “mal” que je lui faisais. Nul de ne pas venir me parler à moi, de se présenter comme victime alors que j’étais celle qu’ils isolaient. Mais je n’en pouvais plus des conflits, de me battre, sans arrêt. Je devais continuer ce deuil de cette belle relation heureuse et saine que j’aurai aimé avoir avec eux.

Car je ne voulais pas m’arrêter là.

Ils ne savaient pas, tous, que grandissait en moi un désir brûlant qui allait m’apporter à son tour son lot d’épreuves.

 

Merci d’avance pour tous vos retours, merci de me lire, merci de me suivre, et merci d’avoir attendu un peu plus longtemps ce nouveau chapitre.

La suite très vite ❤

MC

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Photo prise le jour J


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