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Mai 2012. Nous sommes réunis avec des amis pour découvrir les résultats du second tour des présidentielles. Le coeur battant, avec une pleine conscience de l’enjeu. Si François Hollande est élu, nous aurons peut-être enfin le droit de nous marier. Si c’est Nicolas Sarkozy, nous sommes repartis pour quatre ans sans pouvoir avancer.
C’est gagné !
La brèche est ouverte, enfin ! Je vis pour la première fois des élections présidentielles en ayant conscience qu’une des mesures annoncées me concerne directement. Je saute de joie dans les bras d’Aurore. Si le mariage n’est pas d’actualité pour nous, s’il n’y a pas eu de demande encore, le fait de savoir que “si je veux je peux” est une fierté.
Mais je n’étais pas préparée à la grande croisade qu’ont mené les anti-mariage pour tous. J’ai naïvement pensé qu’en ayant élu un homme dont ce sujet était un des points du programme, les Français se rangeraient. Mais ce qui est vite devenu une polémique a été d’une violence inouïe. Quand certains parleront seulement de débat politique, je n’ai pas vraiment vécu la même chose.
Lorsque quelques mois plus tard, les premiers mouvements anti mariage pour tous se sont développés, que les débats ont commencé à envahir les chaînes télévisées, j’ai compris que ce ne serait pas si simple. Et surtout, j’ai découvert, je pense comme beaucoup d’autres, une certaine “catégorie” de Français jusque là silencieuse, qui a cru subitement être élue pour mener un combat qui ne la concernait pas.
Début 2013 a eu lieu la première manifestation de grande ampleur à Paris et un peu partout en France. J’angoissais. Nous avions compris que cela allait rassembler beaucoup de monde et que les résultats seraient difficiles à entendre. Aurore et moi nous sommes réfugiées toute la journée au cinéma. Hors de question de voir les chiffres ou de croiser des manifestants.
Le soir de cette première journée, nous avons allumé la télévision et vu. Nous avons vu ces centaines de milliers de personnes (un million diront les organisateurs), marchant fièrement dans les rues, en rose et bleu, familles réunies, comme dans une sorte de grande fête dominicale. J’étais scotchée. Abrutie devant l’écran.
Parce que ces gens, je les connaissais.
Ces familles, j’en faisais partie.
Cette éducation, c’était la mienne.
Cette Eglise, j’y appartenais.
Ils étaient là, tous, à marcher. Marcher comme on nous apprend qu’il faudra marcher au catéchisme petits. Il faut marcher pour annoncer la bonne nouvelle, marcher pour aller apporter, propager l’amour du Christ, marcher pour répandre la joie, l’espérance.
J’avais envie de hurler devant mon écran. De pleurer. Vous vous trompez ! Mais qu’est-ce que vous faites ? Non ce n’est pas ça. Ce n’est pas ça qu’on nous apprend. Ce n’est pas ça. Vous faites du mal, là. Vous ne défendez pas les valeurs que vous m’avez apprises. L’amour, la bienveillance, l’accueil. Vous vous trompez. Ne faites pas ça.
J’étais désespérée.
Le coup de grâce n’était pas là. Ce soir-là, j’ai ouvert mon fil d’actualité Facebook. Des photos, des partages d’articles, des statuts, des selfies au milieu de la manif. Et tout cela signé de beaucoup de membres de ma famille, et même de certains amis.
CHOC.
J’ai ressenti comme une énorme claque, un soufflet de haine.
Pour la première fois depuis le début de mon histoire d’amour, je me suis sentie différente, rangée dans une case. Il y avait désormais les “pour” et les “contre”. Et chacun avec la conviction d’être le bien et de devoir combattre le mal.
J’avais la sensation tout à coup qu’on me dépossédait de mon histoire. Il ne s’agissait plus d’Aurore et moi comme un couple amoureux. Il ne s’agissait plus de mes sentiments. Nous étions désormais un couple homosexuel à qui ces gens souhaitaient refuser le droit d’être un couple normal. Un couple homosexuel qui avait le droit de s’aimer mais sans le montrer. Sans exister. Le droit par contre de les regarder, eux, les familles si parfaites en rose et bleu, s’épanouir, respirer dans leur bonheur validé par Dieu.
Ils sont si beaux, si parfaits, si purs. Nous sommes si laids, si sales, si dangereux.
Ils ne le reconnaîtront pas, bien sûr. Ils répèteront sans cesse qu’ils veulent défendre “les valeurs de la famille”. Qu’ils veulent défendre l’amour, l’équilibre, la nature. Mais c’est poussés par une forme de haine et de phobie qu’ils sont allés marcher dans la rue. Défendre des idées est un droit, je l’entends, mais manifester pour ne pas donner accès à un droit, à un désir aussi légitime, vouloir empêcher d’autres que soi de vivre ce bonheur qu’est de fonder une famille, c’est quelque chose que je ne peux pas comprendre.
Il existe des milliers de combats. Ils ont choisi celui-là.
Jamais ces gens n’étaient allés manifester pour la plupart. Et c’est ce qui était d’autant plus gênant. De tous les combats, de toutes les inégalités sociales, ils ont choisi celle-là comme valant la peine de se lever le dimanche et de décaler la messe au samedi soir.
Ces enchaînements de manifestations ont été à chaque fois très violents. Sous leurs jupes plissées, leurs enfants blonds et leurs sourires de familles heureuses, ils nous ont jugés.
Je suis la première à vouloir m’afficher dans la rue, ne pas avoir honte de vouloir lui tenir la main. Jamais je n’avais ressenti, même devant mes propres parents, autant d’illégitimité. Je me suis sentie minuscule, comme assaillie par des milliers d’araignées prêtes à tout pour me faire chuter.
Certains de mes cousins, des oncles et tantes, qui nous offraient leurs plus beaux sourires et qui avaient, pour certains, semblé ouvrir leurs bras à Aurore, passaient donc désormais leurs dimanches, souriants, chantants, à marcher dans les rues, se sentant pousser des ailes.
Que devais-je faire ? Leur parler ? Ignorer ? Aller débattre avec eux ? Je ne savais pas. C’est fou, mais alors qu’eux ne se sont certainement jamais interrogés sur la possibilité de me perdre en agissant comme cela, je ne parvenais pas à monter au créneau, de peur que nos liens se rompent, de perdre ma famille.
Cette famille si nombreuse, si parfaite en apparence. Une famille qui, pour moi, reposait sur le principe de l’amour. Je pensais être défendue, j’ai été bouffée. Je n’ai jamais essayé de rentrer en débat avec eux. Je n’ai rien dit, car je ne voulais pas les entendre me dire à moi leurs raisons stupides, me mentir à moi leur cousine, leur nièce. Je sais pourquoi ils sont allés manifester. Car dans cette éducation bourgeoise catholique, on vous apprend à aimer mais on vous apprend autant à juger. Pour aimer bien, il faut savoir distinguer ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Le bien et le mal. Et au lieu de propager le bien, ils sont allés combattre ce qu’ils considéraient comme le mal.
Une autre obsession tournait dans ma tête. Je pensais sans cesse aux jeunes de ces familles qui se posent des questions sur leur sexualité, qui préparaient peut-être leurs mots pour annoncer à leurs parents leur homosexualité. A ce silence auquel ils ont peut-être décidé de se réduire. Quelle douleur ils ont dû ressentir. Tous ces moments où ils ont voulu se lancer pour dire qui ils sont, et où leurs parents leur ont annoncé qu’ils iraient manifester le lendemain.
Car moi, j’avais une chance, un bouclier immense : mon couple. J’étais amoureuse. A aucun moment donc, ces manifestations ne remettaient en question ma vie. Elles m’éloignaient juste un peu plus de cette famille, cette éducation et cette Eglise tant idéalisées. Mais combien d’homosexuels, jeunes pour la plupart, connaissent leur sexualité mais sont célibataires, et n’ont donc personne sur qui se reposer ? Comment peuvent-ils faire face à leurs parents, leurs frères et soeurs, leurs amis ? Ils ont dû souffrir. Enormément..
Heureusement, mon noyau familial, mes parents et mes frères et soeurs, ne sont pas allés manifester. Et je sais que cette période n’a pas été toujours simple pour eux. Car mes parents avaient tout leur entourage qui allait marcher, parce que mes frères et soeurs aussi, et qu’ils ont dû eux être tiraillés en voyant cette famille ou ces amis rassemblés autour d’un combat qu’eux ne voulaient pas mener car j’étais concernée et qu’ils savaient que cela m’aurait achevée.
Cette année 2013, j’ai aussi rompu avec l’Eglise catholique. Elle a joué un rôle très important dans la Manif pour Tous. Elle a pris une place qui n’était pas la sienne. J’ai grandi dans une éducation chrétienne, et même si je n’allais plus tous les dimanches sans faute à l’église, je croyais sincèrement en la force de rassemblement qu’elle avait et dans la plupart des valeurs qu’elle défendait.
En tant que pratiquante et croyante, je connaissais bien avant ces événements les positions de l’Eglise sur ces sujets, mais je pensais que, comme on me l’avait appris, la religion ne tolérait aucune forme de haine, de rejet, mais prônait le dialogue, l’écoute et l’amour de son prochain. Mais sous les plus beaux sourires peut se cacher la plus forte violence. Je me revois un dimanche à la campagne chez mes parents, recevoir d’une dame un tract dans l’église donnant rendez-vous le dimanche suivant pour partir tous ensemble en car pour aller manifester à Dijon. Que venaient faire ces débats dans cette église ?
J’ai encore en tête ces images de prêtres marchant, un enfant sur les épaules, ces couples au brushing impeccable, se tenant par la main et montrant au monde à quel point leur amour est plus fort, plus beau et plus légitime que le mien.
Ils n’ont jamais pensé à ceux qu’ils ont voulu écraser. Ils n’ont pensé qu’aux enfants de couples homosexuels qui souffrent et méritent une vie meilleure. Comme si ces enfants étaient les leurs, comme si on leur volait un bout de leur jolie carte postale de famille idéale. Mais ce ne sont pas leurs enfants. Ce ne sont pas leurs vies. Il s’agit de la mienne et de celle de quelques millions de personnes. Pas la leur.
Selon eux, il n’existe donc qu’un seul schéma familial qui ai une valeur, comme si le fait d’avoir un papa et une maman était une garantie d’avoir une vie saine et heureuse. Ils ont la prétention de détenir la clé du bonheur, comme si moi, nous les couples homosexuels, n’avions pas les capacités pour apporter un environnement familial stable à nos enfants.
Mais il y a des enfants dont les parents sont absents. Il y a des enfants qui sont battus, violés. Il y a des enfants qui vivent dans la misère. Il y a des enfants qui sont abandonnés. Il y a des enfants qui grandissent au milieu des cris, des disputes, des coups. Mais ces manifestants ont choisi d’aller se battre pour “sauver” les enfants des couples homosexuels. Des couples pour qui ce sera un parcours médical long, douloureux et cher pour fonder une famille. Tout sauf un caprice. Tout sauf une lubie.
Et tout cela a duré tellement longtemps. Ils n’ont rien lâché, cela en devenait gênant.
Je n’exprimais rien, et quand je le pouvais, je les défendais même encore auprès de mes amis. Je tentais d’expliquer leur mode de pensée, mais plus le temps passait, plus je peinais à trouver les arguments.
Un jour de manifestation, Aurore m’a fait la surprise de m’emmener au musée de la Mode à Paris voir une exposition, histoire de me changer les idées. En sortant de la bouche de métro, nous sommes tombées en plein milieu de la Manif pour Tous. En plein milieu de ces milliers de personnes. Jusque là, je n’avais vu que les images à la télévision, nous évitions à chaque fois d’aller dans les secteurs où ils pouvaient passer. Cette fois-ci, c’était raté. Aurore, qui est bien souvent plus impulsive que moi, a dû littéralement me tenir. J’étais en plein milieu de cette foule, de ces gens qui me ressemblaient tant et j’avais la haine. La haine. J’ai été prise d’une colère énorme. Jusqu’à les insulter. Aurore voulait qu’on traverse la manif le plus discrètement possible, moi je voulais les arrêter, je voulais qu’ils me voient, qu’ils nous voient. J’ai attrapé Aurore, je l’ai embrassée et je nous ai prises en photo au milieu de la foule. Cela n’a bien entendu eu aucun impact sur eux, mais c’était symbolique pour moi.
Je n’en pouvais plus. Je souffrais de tout cela. De tout cet acharnement.
J’ai compris aussi cette année là que je n’appartenais plus à l’église catholique. Non pas qu’elle m’en ait rejetée mais parce que j’en suis partie. En tant que chrétienne, en tant que citoyenne et en tant qu’homosexuelle. Je ne fréquente les églises que lors des réunions familiales, plus pour accompagner mes parents dans cette tradition. Ma foi existe encore. Je crois en Dieu, je crois en l’au-delà, je crois en l’amour de son prochain, mais je ne crois plus en ces gens et depuis 2013, je ne prononce plus, lors du “credo” à la messe cette phrase : “Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique.”
Ce chapitre vous a plu, interpelé(e) ? Ecrivez-moi comme d’habitude, c’est un bonheur de vous lire…
La suite arrive vite ❤
MC
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