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L’IMPAIR : Chapitre #6

Pour lire ou relire les chapitres #1 à #5 suivez les liens ci-dessous !

 

Je me retrouvais donc face à lui, face à ce “message”, ce signe.

Ma tête bouillonnait.

Message reçu. Message reçu. OK. C’est ça. Je dois arrêter avec Aurore et reprendre ma vie. OK. Je vais faire ça. Non je ne peux pas. C’est impossible. Je n’y arriverai pas.

Mon coeur se serrait, j’avais du mal à respirer. Je hurlais à l’intérieur. L’idée même de ne plus l’avoir dans ma vie me faisait suffoquer.

Je ne peux pas. Non. S’il vous plaît. Aidez-moi. Non. Non. Non.

Pour la première fois de ma vie, j’avais l’impression qu’on déchirait littéralement mon corps en deux. Une partie de moi restait là, immobile, dans ce confort, ce cocon de naissance, face à ce garçon. Une autre partie se révélait guerrière. Je voulais me battre. Me battre contre ce signe, contre cette consigne qui me disait de rester à ma place.

Les mois étaient passés, je ne les avais pas comptés. Pendant tout ce temps, jamais, pas une seule fois, Aurore ne m’a demandé de quitter mon copain. Jamais elle n’a abordé ce sujet, jamais elle n’a jugé mon couple ou mon comportement. Je crois que cela me perturbait et en même temps me donnait une grande liberté.

Une seule fois, elle m’a envoyé une petite phrase piquante qui m’a remise à ma place. Je lui avais fait, dans une soirée, une remarque de pure jalousie car je la trouvais trop proche d’une de ses amies. Elle m’avait répondu : “Mais si tu es en couple, ça veut dire que je suis célibataire, non ?”. Touchée.

Ce n’était pas allé plus loin, mais j’avais compris le message. Je ne pouvais rien exiger d’elle si moi-même je lui infligeais ma double vie.

J’étais paralysée. Ma vie était paralysée, et je laissais encore une fois le temps passer. Jusqu’au choc frontal.

Nous avions à l’époque un ami, Silvère. Nous formions avec lui un trio inséparable. Nous passions nos journées ensemble, nos soirées aussi. J’aimais passer mon temps libre avec ces deux là, ils me faisaient rire, tellement rire ! Silvère était une sorte de bombe émotionnelle. Il passait d’états euphoriques à des moments de grande tristesse en quelques secondes. J’aimais son intensité, j’aimais notre intensité à tous les trois. Nous partagions tout. Ou presque.

Silvère nous voyait dormir ensemble, nous voyait très proches avec Aurore, et nous interrogeait souvent. Il ne nous aurait jamais jugées, il était juste amusé, heureux de nous voir si fusionnelles et nous taquinait sur ce sujet sans arrêt. Mais on niait aussi. Il aurait pourtant été le premier heureux pour nous, mais nous ne pouvions pas lui dire. Silvère était d’une personnalité intense, et dérapait souvent dans l’alcool. Il perdait alors le contrôle, et nous avions peur qu’un jour, complètement ivre, il fasse une “gaffe” en public, ou même devant notre patron qui était son grand frère.

Alors il nous relançait souvent, et nous niions toujours. A contre coeur, car si on ne pensait pas au fait que nous cachions quelque chose aux autres, autant avec lui, c’était parfois difficile de lui mentir. Même si je pense qu’il savait, évidemment.

Silvère était malheureux sur terre. Il souffrait et nous étions impuissantes. Ses ascenseurs émotionnels devenaient de plus en plus vertigineux, et la moindre contrariété se transformait en un drame qu’il épongeait dans l’alcool et plus. Il nous appelait souvent en menaçant de mettre fin à ses jours. Nous répondions toujours, et à chaque fois nous débarquions chez lui pour le soutenir. Nous formions réellement un trio, et nous l’aimions profondément. A chaque “crise”, il appelait, on répondait.

Le 29 janvier 2010, Silvère ne nous a pas appelées. Il est mort. A bout de souffle, il a décidé de partir.

Ce drame a été l’un des plus violent de ma vie. Il ne s’agit même plus de prendre une claque, là, c’était un boulet de canon que je prenais en pleine face. J’avais 22 ans, et je perdais un de mes meilleurs amis dans des circonstances violentes. Aurore et moi nous sentions amputées. Choquées. Terrifiées. Notre équilibre à trois n’était plus.

J’étais heurtée de plein fouet à quelque chose de plus fort que tout : la mort. Un stop net. Un souffle coupé. Le silence. L’absence. Le manque.

La mort avait déjà souvent visité ma vie. J’avais perdu plusieurs membres de ma famille, mais le suicide est un acte délibéré d’une grande violence, et malgré les “alertes” de Silvère, on ne se prépare jamais bien sûr à perdre un ami.

J’apprenais que non, le bonheur, l’amour et la sécurité ne sont pas des choses avec lesquelles ont naît et qui ne nous quittent pas. J’étais née dans un cocon familial sécurisant, aimant, avec des facilités, et je jouais la diva dans cette double histoire d’amour depuis plusieurs mois. Comme si tout cela ne pouvait pas mal se finir. Mais que je le veuille ou non, la vie était plus forte que moi et allait me surprendre encore.

Maintenant, il nous voit, il sait pour nous, et je sais qu’il est présent dans notre histoire.

A partir de ce jour-là, être séparée d’Aurore, même quelques heures, devenait insupportable. Invivable. C’était déjà le cas avant, mais nous passions à un stade au dessus. Je ne voulais plus voir mon copain. J’étais bouleversée, triste, en deuil, et je ne voulais pas pleurer dans ses bras, je ne voulais pas de son réconfort. Je ne voulais qu’Aurore, qui comprenait ma douleur. Je réalisais que ma vie pouvait s’arrêter d’une seconde à l’autre. J’étais terrifiée à l’idée que la mort puisse nous séparer.

Quelques jours après son décès, nous étions, avec Aurore, à une soirée, avec des collègues. Seules dans une pièce, nous eûmes cette discussion que nous évitions depuis un an. Pour la première fois, nous parlions de nous comme un couple, nous envisagions le regard des gens.

Aurore me dit : « Etre avec une femme, ce n’est pas facile. Ce ne sera pas accepté par les gens, par ta famille, ce seront des épreuves et des épreuves. Il faut être prête à affronter ça. Il n’y aura presque personne d’heureux pour nous. Ce sera un combat à mener. »

Je sentais qu’au delà de ce deuil que nous vivions, il y avait quelque chose de plus grand qui changeait. Un cycle se terminait. Rien ne pouvait plus être comme avant.

Une “donnée” fit tout basculer. Silvère vivait une histoire avec un garçon depuis quelques mois. Nous le connaissions assez peu, mais il nous avait raconté une chose qui a été déterminante pour moi : l’entourage de ce garçon ne savait pas qu’il était homosexuel. Il ne voulait pas le dire. Il n’était pas prêt. Lorsque Silvère est mort, j’ai pensé à lui. Il vivait la perte de son “amoureux” et ne pouvait pas en parler avec son entourage. Il a “refusé” notre soutien, et a dû vivre ce deuil seul.

Je me suis dit une chose simple. Si demain, je meurs, personne ne saura. Personne ne saura qui était mon grand amour. Personne ne saura que je ne vivais que pour elle. Personne ne saura qui j’étais.

STOP.

On arrête tout.

On arrête les mensonges.

On arrête les secrets.

On arrête de jouer.

On se lève, et on affronte.

On se lève, et on décide.

On se lève, et on agit.

On se lève.

Et on saute dans le vide.

Je me suis levée, j’ai pris mon téléphone. J’ai appelé mon copain.

Je lui ai dit que je n’étais plus amoureuse. Que j’aimais toujours autant ce qu’il était, mais que je ne vibrais plus, que c’était terminé.

C’était réciproque. Nous étions délivrés. Nous avons mis fin à notre histoire de 5 ans au téléphone, simplement, mais avec une grande bienveillance. Je ne lui ai pas parlé d’Aurore car, et c’est la vérité, je n’y ai même pas pensé. Je ne l’ai pas quitté pour Aurore, je l’ai quitté car je ne l’aimais plus, je l’ai quitté pour moi. Pour ma vie.

J’ai raccroché. J’étais dans la chambre d’Aurore, seule, elle était à la cuisine, elle ne savait rien de mon choix, je ne l’en avais pas avertie avant, je ne lui en avais pas du tout parlé, elle ne savait pas tout ce chemin dans ma tête depuis 10 jours après la mort de Silvère.

J’ai appelé une de mes meilleures amies à qui je n’avais rien raconté jusqu’ici. Je lui ai tout dit au téléphone d’une traite et, après de longues minutes qui furent nécessaires pour qu’elle réalise que la petite MC avait une double vie avec une femme depuis un an, je lui ai demandé si je faisais le bon choix, elle qui me connaissait si bien. Elle m’a répondu : « MC, tu n’as pas besoin de moi visiblement pour prendre des décisions. Tu as déjà fait ton choix, vas-y. »

Je suis allée dans la cuisine, j’ai regardé Aurore et je lui ai dit : “Je l’ai quitté.”

Un nouveau combat commençait.

 

La suite très vite !

Merci pour vos retours et votre bienveillance.

MC

MC ET AURORE-30
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