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22 juillet 2018.
J’ai le ventre en compote. Des douleurs aigües qui me font perdre la tête.
Je ne regarde pas autour de moi, je suis focalisée sur ce que je ressens. De la douleur. Des semaines que je pense tout le temps à ce moment que j’attends avec un mélange d’impatience et de peur. J’ai visualisé chaque minute, le berceau, le lit, la lumière, les sages-femmes, et Aurore à côté de moi.
Mais là, tout de suite, maintenant, je n’en ai plus rien à faire.
Je suis allongée sur le lit, j’ai du mal à changer de position, ma peau dégouline, je transpire de douleur. D’effort. Mon corps tout entier se crispe.
Souvent j’ai vu à la télévision ces femmes hurlant, souvent je me suis gentiment moquée. Et je comprends. Je comprends que l’on puisse être à deux doigts de tomber dans les pommes. C’est en tout cas mon cas.
Et cette péridurale qui ne vient pas. Les sages-femmes ne veulent pas me la poser, je ne suis pas encore suffisamment dilatée. Chaque contraction qui approche devient une angoisse. Je me moque du décor, et surtout, je ne pense même plus à “l’heureux événement” qui approche.
Aurore tente par tous les moyens de me rassurer. Elle me rappelle que je n’en pouvais plus d’attendre, qu’il y a encore quelques heures, je n’avais qu’une hâte : accoucher. Elle me fait des blagues, me fait rire, et se fait engueuler à vouloir sans arrêt me rafraîchir le visage avec une serviette humide comme dans les films.
Nous sommes arrivées à 2h du matin à la maternité. J’ai mal depuis 24h, mais je manque tellement de confiance en moi, en ce que mon corps me dit, que je n’ai pas osé y aller plus tôt. J’ai peur que le personnel me rit au nez, qu’il me dise que je suis venue bien trop tôt, que ce n’est pas encore le jour J. Un peu comme à l’entrée d’une boîte de nuit, de me faire refouler.
Alors j’ai attendu, attendu au maximum.
Et maintenant je suis dans cette chambre. Il est 14h et j’attends avec impatience le prochain examen qui m’annoncera peut-être la libération. Je supplie en pleurant les sages-femmes de m’accorder cette péridurale.
15h. C’est oui.
Aurore est aussi soulagée que moi. En quelques minutes, après une piqûre dans le dos que j’ai à peine sentie, je souffle, je plane. J’ai envie de dormir. Je n’ai pas fermé l’oeil depuis hier matin. Aurore sort s’aérer un peu.
Je ne ressens plus rien. Je me suis tant projetée dans ce moment, et plus il approche, moins je réalise, moins je suis prête.
La machine à côté de moi s’emballe subitement. Une sage-femme entre précipitamment. Il y a un petit coeur dans mon ventre qui s’emballe et qui ralentit d’un coup. La contraction que je n’ai pas sentie a été spectaculaire pour ce petit être. Je passe d’une dilatation de 3 à 7 en quelques secondes. La jeune femme appelle sa collègue et me dit, au milieu d’une phrase : “On y va.”
J’attrape mon téléphone, je demande à Aurore de revenir très vite. C’est maintenant.
Elle entre dans la chambre et se place à côté de moi. Elle fait des blagues, encore des blagues. Aurore nous met même la radio qui est à disposition pour les patientes. Elle est en fait complètement paniquée, je la connais.
Il est 16h52, le 22 juillet 2018.
Je suis allongée sur cette table d’hôpital à regarder le plafond quand je la vois arriver brusquement dans mon champ de vision comme venant du ciel, puis retomber doucement dans mes bras.
Elle est là.
CHARLIE.
C’est surréaliste. Je tiens un tout petit bébé dans mes bras et c’est le mien. Je regarde Aurore qui semble un peu… je ne sais pas. Aussi pommée que moi ?
Je ne parviens pas à trouver les mots pour décrire ce que j’ai ressenti à cet instant. C’était un sentiment tellement nouveau. Une saveur que je ne connaissais pas. Moi qui aime mettre des mots sur chacune de mes émotions, là, je n’en n’ai pas. Je suis face à ce petit être, notre fille, et je me sens minuscule. Je ne sais pas s’il s’agit d’amour, s’il s’agit de peur, si c’est ça, le fameux instinct maternel, je n’en sais rien.
Aurore prend la petite contre elle, contre sa peau, elle ne fait plus de blagues.
Il n’y a aucune blague à faire, rien à contourner, aucune diversion, elle est là, notre petite, notre fille, contre elle.
Soudain, j’entends une mélodie que je connais bien. J’avais oublié qu’il y avait la radio allumée dans la salle d’accouchement depuis une heure. Mais ce son, lui, il se connecte immédiatement à moi.
C’est Angels, de Robbie Williams.
Il me transporte en janvier 2010.
J’ai 22 ans, je suis avec Aurore et Silvère, seulement quelques jours avant sa mort. Il vient de se faire couper les cheveux chez le coiffeur et on rit tous les trois. Un fou rire. Il pavane devant le miroir, car cette coupe lui donne un gros air de Robbie Williams. Alors on chante tous les trois cette chanson en dansant dans son salon.
Et ce titre est resté gravé dans ma peau, associé à sa mémoire comme un parfum.
Il est là. Avec nous.
Aurore et moi nous regardons. Et on rit.
“Il ne manque plus que Christophe avec nous.”, je dis en plaisantant.
“Pour Christophe, il faudrait que le prochain titre soit Louise Attaque !”
J’ai accepté par erreur, ton invitation…
On se regarde, hébétées.
Je jure que c’est arrivé.
Oui, la chanson qui a suivi, c’était Louise Attaque.
Ils étaient là, nos anges, nos amis, nos amours. Ils étaient tous les deux avec nous ce 22 juillet 2018.
Charlie est là, dans nos bras. Nous sommes trois, maintenant. Je suis épuisée mais mes forces sont décuplées.
Et je mets plusieurs jours à comprendre.
Je pleure en la regardant, je pleure en mangeant, je pleure en me lavant. Je pleure tout le temps. Je n’ai plus de repères.
On met des années à comprendre qui on est, ce qu’on veut. On met des années à s’aimer, à trouver l’équilibre, le juste équilibre si fragile du bonheur. Et subitement, un enfant débarque comme une boule de bowling et vient tout briser, faire un strike sur votre vie.
Fascinant, terrifiant.
Je m’étais préparée à tout, rien ne s’est jamais passé comme prévu, et celle-là, je ne l’avais pas vue venir.
Ma fille, notre fille, Charlie.
Dans les semaines qui suivent, nous découvrons le bonheur d’avoir un enfant, et la fatigue qui l’accompagne. Mais c’est merveilleux. Merveilleux d’avoir cette sensation de former une famille, toutes les trois.
Très vite, mes parents, mes frères et soeurs débarquent à la maison. Je suis si heureuse. Tout se passe naturellement. Ils l’accueillent tous comme n’importe quel enfant, avec amour et bienveillance. Voir Charlie dans les bras de mes parents, c’est un sentiment unique. Je suis si fière de ce chemin parcouru. Fière de ma famille. Celle que je forme avec Aurore et Charlie, et celle qui a fait ce que je suis.
J’ai la sensation de retrouver aussi ma mère. Que notre relation prend une nouvelle direction. Elle semble heureuse, à l’aise. Elle est une grand-mère gaga devant ses petites-filles. Lorsque j’appelle mes parents aujourd’hui, on ne cherche plus à s’éviter, je suis même contente de tomber sur elle.
Il n’y a plus de non-dit, plus de secret. C’est terminé.
Ce combat-là est achevé. Je n’ai plus rien à leur cacher, plus rien à leur avouer.
Pour être totalement sereine, il me manque encore une chose : un homme.
Non, je plaisante.
Qu’Aurore devienne officiellement la mère de Charlie. J’ai longtemps pensé comme beaucoup de gens que la loi autorisant le mariage pour tous donnerait d’office le droit à Aurore, puisque nous sommes mariées, d’être reconnue comme mère. Mais ce n’est pas le cas. Je découvre très vite qu’il va falloir passer par une procédure longue : la demande d’adoption plénière.
Pour cela, nous devons attendre légalement que Charlie ait 6 mois pour entamer les démarches officielles. Allez savoir pourquoi… Passage chez le notaire, dépôt de dossier au tribunal, tout cela peut prendre un an, voire plus. Un an. Douze mois pendant lesquels il peut m’arriver quelque chose. Je peux me séparer d’Aurore, mourir, elle n’aura aucun droit. Elle ne sera pas reconnue comme sa mère. C’est une pression énorme. Elle a heureusement aujourd’hui de très bons rapports avec ma famille qui, en cas de drame, ne lui enlèvera pas notre fille. Mais légalement, elle n’est rien. Comment peut-on laisser une famille dans une instabilité et une insécurité pareille aussi longtemps ? Cela me dépasse, mais c’est encore ainsi, pour le moment.
Lorsque je reçois encore des courriers officiels de la mairie, d’un médecin ou autres pour Charlie avec uniquement mon nom de famille, voire même écrit “Mère : Marie-Clémence B.” et “Père : inconnu”, je trouve cela injuste. Car si Charlie bien sûr ne comprend pas encore toutes ces choses, elle est considérée dans la société comme une enfant qui n’a pas été reconnue par son père. Elle n’a pas de père. Elle a deux mères qui ont fait appel à un donneur anonyme. Point.
J’ai donc hâte que nous soyons légalement une famille toutes les trois. Que Charlie porte aussi le nom de sa deuxième maman qui s’occupe d’elle autant que moi. En attendant cette étape nécessaire, nous avons la vie classique de jeunes parents Des fous rires avec notre bébé, les sourires et petits cris dès le réveil, les nuits trop courtes, les câlins. Aurore ne cesse de me remercier de l’avoir poussée vers ce bonheur qu’elle ne soupçonnait pas. Elle qui avait peur de ne pas aimer cet enfant comme il faut ou de ne pas trouver sa place, elle a une complicité incroyable avec sa fille et découvre comme moi le bonheur et l’amour inconditionnel que cela procure.
Les mois passent et j’en oublie presque qu’une personne ne s’est pas manifestée depuis des mois. Ma grand-mère.
Elle a bien sûr été avertie par ma mère que j’ai donné naissance à une petite fille, mais je n’ai plus de contacts avec elle. J’essaie de ne plus y penser, même si j’ai régulièrement des échos de quelques phrases assassines qu’elle dit à ce sujet. J’imagine que les choses resteront ainsi. Cela me rend triste, mais je n’ai plus envie de me battre, plus envie d’essayer de faire bouger les choses. Assez donné.
C’est pour cela que fin novembre, je m’attends à tous sauf à recevoir cette lettre d’elle.
La suite très vite ❤
MC
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