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L’IMPAIR : Chapitre #27

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Nous annonçons la bonne nouvelle de cette grossesse à nos plus proches amis. Je rêve d’en parler à ma famille, de partager ce moment avec mes frères et soeurs. Mais je redoute mes parents.

Depuis le début, je pense souvent à eux. Je suis perdue, bloquée. Je ne me vois pas vivre cette aventure sans eux, mais je sais aussi que je vais leur infliger une épreuve supplémentaire. Si le mariage était déjà quelque chose de difficile à accepter, le fait d’avoir un enfant avec une femme, grâce à un donneur anonyme, c’est impensable. Et je n’ai pas de solution. Depuis qu’Aurore et moi nous sommes lancées dans la PMA, j’essaie de me poser parfois pour réfléchir à la manière dont j’aborderai tout cela avec eux, mais je ne sais pas comment m’y prendre, alors je mets tout cela dans un coin de ma tête, en attendant le jour où je ne pourrais plus reculer.

Et maintenant je suis enceinte, et dans quelques mois, j’aurai un enfant. Mais je me dis bêtement que je leur annoncerai le plus tard possible, à peut-être six ou huit mois de grossesse, qui sait ? Comment leur dire ? Quand ? Je suis sensible, fragile, heureuse de réaliser ce rêve de petite fille, et en même temps terrifiée car j’ai l’impression de faire une bêtise. J’ai peur de leur réaction, peur de ne pas avoir d’arguments. Depuis notre mariage, les relations sont apaisées, je reconstruis petit à petit un lien avec ma mère, et j’ai peur de tout briser à nouveau.

En décembre, nous allons fêter Noël avec ma famille.

Ma mère vit une période difficile. Son père, mon grand-père, est âgé et malade. Elle en souffre beaucoup comme on peut l’imaginer. Je n’ai plus de contacts avec ma grand-mère et lui depuis longtemps, mais je ne me vois pas ne pas aller le voir à l’hôpital, peut-être pour la dernière fois. Je décide donc d’aller lui rendre visite avec ma soeur et mon beau-frère, sans Aurore. Laisser de côté toutes ces rancoeurs familiales, et juste passer quelques heures auprès de mes grands-parents. Ce moment se passe plutôt bien, je ne parle pas de ma vie et je me concentre sur eux.

Le cap des trois mois de grossesse n’est pas encore passé, mais je ne me vois pas laisser passer cette occasion de l’annoncer physiquement à mes frères et soeurs. Je ne veux pas leur dire par téléphone dans quelques semaines alors que nous sommes tous réunis. Nous décidons donc avec Aurore de leur annoncer juste à eux. Je sais qu’ils partageront notre joie et j’espère aussi qu’ils me conseilleront sur la manière de l’annoncer plus tard à nos parents.

Nous profitons d’un moment où les parents s’absentent pour nous réunir au salon. C’est avec une grande émotion que nous leur annonçons que je suis enceinte. Je suis émue car j’ai tant rêvé de partager ce moment avec eux. Ils sont heureux pour nous, cette annonce ressemble jusque là à n’importe quelle annonce de ce type dans une famille. Tout est normal. Je vois mon beau-frère et ma plus petite soeur partir dans la pièce à côté et revenir. Ils nous annoncent à leur tour qu’elle aussi est enceinte ! C’est incroyable, nous nous retrouvons toutes les deux à attendre un enfant à seulement un mois d’écart. Double dose de bonheur pour nous tous.

Eux ont prévu d’annoncer la nouvelle le soir de Noël à mes parents, certainement un cadeau qui leur fera très plaisir. Je leur dis que de notre côté, je ne suis pas prête à leur annoncer, que je gèrerai cela plus tard, beaucoup plus tard.

Le lendemain matin, le 24 décembre, nous nous préparons tous pour déjeuner en famille. Dans ce moment doux du réveillon de Noël qui approche, le téléphone d’Aurore sonne. Elle va dans la pièce à côté, je la retrouve.

C’est Yvette, la voisine de son père.

Son papa, Gilbert, est mort.

Seulement quatre mois après sa propre mère, la grand-mère d’Aurore, il est parti, lui aussi.

La mort.

Ce 24 décembre, la mort est là. Et Aurore perd un des derniers membres de sa famille.

Elle est bouleversée, et j’assiste, désemparée, à son malheur.

Ma famille se montre d’un grand soutien, discret et tendre, pour l’accompagner dans cette épreuve qui survient un jour de fête.

Une fois de plus, la mort fait basculer notre vie. Elle nous attrape, nous fait tomber, nous piétine. Nous pousse à revoir notre jugement, à relativiser.

Le père d’Aurore est mort ce matin. C’est terrible, bouleversant, éprouvant.

Nous attendons un enfant, c’est une bonne nouvelle, c’est un bonheur.

Point.

Remettre les choses à leur place.

Je ne veux plus m’angoisser de la réaction de mes parents alors qu’il se passe des choses bien plus graves dans une vie. S’ils réagissent mal, tant pis. Je suis enceinte et c’est un heureux événement, pas un drame.

Nous allons leur annoncer aujourd’hui. Pas attendre. Cela ne sert à rien. C’est moi qui en faisais un problème. A moi d’en faire une bonne chose.

Le soir même, nous nous retrouvons tous autour du sapin. Nous avons discuté de tout cela avec ma petite soeur et mon beau-frère avant. Ils sont venus nous voir pour nous encourager à l’annoncer en même temps qu’eux. Ils pourraient avoir voulu que ce moment reste à eux, mais ils ont eu la gentillesse de nous proposer de partager tout cela ensemble.

Nous ne voulons pas leur voler leur moment. A eux d’annoncer l’heureux événement avant, et surtout à eux de nous dire lorsque nous pourrons le faire après. On ne veut pas empiéter.

Avec une immense émotion, mes parents découvrent le cadeau de leur plus petite fille. Ils sont très heureux, profondément émus. Je vois mes parents les prendre dans leurs bras, et je respire. Je sais que lorsque ce sera notre tour, leur réaction ne sera pas la même. Je sais que je dois faire une croix sur cette image que j’avais rêvé petite fille de ma mère pleurant de joie lorsque je lui annoncerai ma grossesse.

Mon beau-frère fait un signe à Aurore que nous pouvons y aller. J’ai le coeur qui bat à toute vitesse.

Les larmes viennent.

Aurore reste en retrait.

Je regarde mes parents et je leur dis :

“J’ai quelque chose à vous dire. Et j’espère, je prie pour qu’un jour, vous le preniez aussi comme un cadeau. Aurore et moi attendons un bébé.”

Je peine à terminer ma phrase, la gorge nouée. J’ai les yeux baissés et je suis morte de trouille.

Je relève la tête et je vois mon père d’abord qui s’avance vers moi, très ému aussi, suivi par ma mère, qui semble dans un état de choc, entre tristesse, bonheur, je ne sais pas.

Mon père dit : “C’est Aurore ou toi ?”

C’est moi, Papa.

Il me prend dans ses bras, et ma mère vient aussi se mêler à l’étreinte.

“J’avais tellement peur de vous le dire. Tellement peur que vous me rejetiez.”

“On se doutait un peu que ça allait arriver un jour. On savait que tu voulais un petit.”, me dit mon père.

Je regarde ma mère et je ne peux m’empêcher de lui demander pardon. Elle me prend dans ses bras et me dit une phrase dont je ne me souviens que de la fin.

“C’est difficile, mais tu sais, je suis pour la vie.”

Elle me dit la vérité.

C’est difficile pour elle, mais elle ne retient que le beau : il s’agit de donner la vie.

C’est de loin un des moments les plus bouleversants de ma vie.

Cette journée fut irréelle.

En seulement 24h, j’ai appris que j’allais avoir un enfant en même temps que ma petite soeur, que j’avais perdu mon beau-père, et j’ai annoncé ma grossesse à mes parents.

Surréaliste.

Un ascenseur émotionnel.

Une fois de plus, la mort est arrivée et m’a poussée en avant.

Avance, Marie-Clémence.

J’aime ma famille et j’aime la réaction qu’ont eu mes parents. La bienveillance. L’amour. Voilà ce dont ils ont fait preuve. Peu importe le fond de leur pensée, ce qu’ils auraient voulu pour moi, ce qu’ils avaient imaginé. Peu importe leur opinion sur l’homoparentalité, ils sont face à leur fille qui va avoir un enfant et ils se concentrent sur l’essentiel : cet enfant qui aura une famille, des oncles et tantes et des grands-parents aimants. C’est tout.

La route fut longue, mais l’arrivée est belle et je suis fière de ce chemin parcouru avec eux. Ils ne m’ont jamais lâchée. Ils ont tous un peu souffert de tout ça, ils ont peut-être parfois été maladroits, mais jamais ils ne m’ont lâchée.

Ce que je redoutais le plus, l’annonce à mes parents, est désormais derrière moi. Je me sens forte, soutenue, et pleinement heureuse de cette grossesse tant désirée. Alors lorsque j’ouvre le cadeau de mes grands-parents, je suis en colère, mais je ne me laisse pas abattre.

Chaque année, ils nous offrent un chèque à chacun. Et dans la période difficile qu’ils traversent tous les deux, mon grand-père hospitalisé depuis plusieurs semaines, nous n’en attendions même pas. Je suis donc d’abord agréablement surprise de découvrir les enveloppes sous le sapin qu’ils ont confiées à mon frère pour nous les remettre à chacun.

Je regarde les enveloppes et je vois sur chacune d’elles les noms des couples. Les deux prénoms de chacun inscrits.

Sur la mienne, il n’y a qu’un prénom. Le mien.

Pas celui d’Aurore.

Ce cadeau qu’ils me font, ils ne le font pas à Aurore, alors qu’ils le font à chaque beau-frère et belle-soeur.

Très bien.

Aucun problème.

Je ne vais pas repartir en guerre, je ne vais pas m’énerver. Je ne dis rien.

Deux jours plus tard, j’encaisse ce chèque sur mon compte bancaire.

Je sors mon propre chéquier et je rédige un chèque du même montant. Le bénéficiaire ? L’association “Le Refuge”, qui vient en aide aux homosexuels mis à la rue par leurs proches.

Ils ne l’auront jamais su, mais en faisant ce cadeau uniquement à mon nom, en ignorant une fois de plus la présence d’Aurore dans ma vie, ils auront finalement aidé une association d’aide aux homosexuels.

Je ne veux pas de conflit, je ne veux pas de guerre, mais je ne me laisserai pas faire.

 

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