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L’IMPAIR : Chapitre #13

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Si je menais un combat long avec ma famille depuis des mois, je n’avais encore rencontré aucune difficulté auprès de mes amis. Ils ont tous réagi avec beaucoup de bienveillance. Surpris, amusés parfois, ils ont eu cette faculté à se réjouir de mon bonheur, peu importe qui me l’apporte. Je ne m’attendais donc pas à vivre cette soirée de février 2012.

Ce soir-là, nous nous sommes retrouvés avec mon groupe d’amis du lycée pour fêter un anniversaire.

Alors que nous avions un débat sur les élections présidentielles à venir, j’ai dit en plaisantant que nous comptions sur nos amis pour voter à gauche, François Hollande, pour nous permettre de nous marier, tout en sachant que la majorité votait déjà socialiste.

Un de mes amis, que je connaissais depuis plusieurs années et qui est une personne ouverte d’esprit, drôle et intelligente, a subitement répondu qu’il pensait voter Marine Le Pen.

Le Front National.

Tout le monde a cru d’abord, comme moi, à une blague.

Mais il ne semblait pas / plus plaisanter. Il a alors développé son idée. Il nous a expliqué qu’il était contre ce projet de Mariage pour Tous, car, même s’il n’avait “rien contre les homosexuels”, il était contre l’homoparentalité.

Je suis restée scotchée. Tout le monde riait jaune. Mais lui, semblait très sûr de ce qu’il disait.

Pas une seconde je n’avais imaginé qu’il pouvait avoir ce type de pensée. Evidemment, nous n’avions jamais abordé le sujet de l’homosexualité ensemble pendant toutes ces années, nous n’en avions pas eu l’occasion, mais lui, le grand bout-en-train de la bande, le sensible, le cultivé, celui qui avait déjà voyagé plus que nous tous réunis, ne pouvait pas, selon moi, avoir ce raisonnement.

J’ai essayé par tous les moyens de le faire revenir sur ses propos, voulant lui faire avouer que ce n’était qu’une blague.

Non.

Il maintenait ses idées. Le reste du groupe l’interrogeait pour qu’il développe encore plus, le mettant face à ses erreurs de jugement. Mais plus la discussion avançait, plus les propos devenaient hallucinants. Ce qui le gênait dans l’homoparentalité, c’était le côté “contre-nature”, c’est-à-dire le fait d’aller contre notre capacité à procréer ou non. Si deux femmes ne sont biologiquement pas capables d’avoir un enfant, alors elles ne doivent pas en avoir. Idem pour les couples hétérosexuels qui sont amenés à adopter.

Plus la discussion avançait, plus je bouillonnais. Alors que je le suppliais d’entendre raison, que je lui disais qu’il ne pouvait pas tenir des propos aussi haineux envers des gens, il a eu cette phrase qui m’a faite dégoupiller : “Ah mais les homosexuels ne méritent pas la haine, ils méritent plutôt l’indifférence, comme les animaux.”

Je me suis mise à pleurer, gueuler. Je ne le reconnaissais plus. Lui le bon copain, très ouvert d’esprit, un amour. Il est devenu en quelques minutes un inconnu.

Je faisais face depuis des mois à différentes formes de rejet, je me battais au quotidien pour faire accepter mon histoire d’amour comme n’importe laquelle auprès de ma famille, de la société, jamais je ne m’étais préparée à cette situation. C’est pour cela que j’ai explosé.

Je n’avais pas d’arme à cet instant à part ma colère. Plus d’argument.

Le fait de me voir en larmes devant lui aurait dû le stopper net, mais il me disait :

“Tu préfèrerais que je te mente ?”

J’aurai préféré que tu ne penses pas ça, tout simplement.

Son discours était tellement absurde, je pense qu’il n’avait pas de mauvaise intention, et aurait sûrement été heureux que nous fondions une famille. Mais ce qui a dû partir d’une provocation, a dégénéré.

Évidemment, pour aller toujours plus dans le cliché, il a ajouté que cela concernait les homosexuels en général, mais que “Toi, c’est pas pareil.”

Il ne réalisait pas que son discours était insultant. Il déballait ses phrases comme si elles ne concernaient pas des humains. Mais il s’agissait de moi. Il s’agissait d’Aurore. Il s’agissait de millions de personnes en souffrance car on leur interdit d’aimer qui elles veulent et de fonder une famille.

Peu de mes amis m’avaient déjà vue dans cet état de colère, certains m’ont même sous-entendu que j’avais eu une réaction démesurée face à la bêtise de ses propos, que peut-être que j’avais voulu faire une démonstration de force car Aurore était avec moi. Peu importe. J’ai réagi avec mes tripes.

Je ne l’ai jamais revu. Il est la première personne que j’ai sortie volontairement de ma vie.

Nos amis ont essayé tant bien que mal de nous réconcilier. Tous sont restés très proches de lui, malgré leur désaccord sur ses opinions. Combien de fois on m’a dit : “Appelle-le, vous pourrez en rediscuter calmement, tu sais que c’est quelqu’un de bien, il a juste déconné, ça a dégénéré, il a un très bon fond, il a dit des bêtises ce soir-là…”

Je n’appellerai pas, je ne ferai jamais de premier pas. Lui non plus ne voulait pas reprendre le contact après cette soirée, considérant que je faisais la tête “pour rien” et que je pourrais revenir auprès de lui lorsque je serais calmée.

Je ne suis pas d’accord.

Il m’est déjà arrivé de me disputer avec des amis, ça me rend malade, le conflit me terrorise, et je suis généralement la première à vouloir ouvrir le dialogue. Mais là je suis sereine, je sais que je n’ai pas tort, pas une seconde. Je pourrais lui accorder toutes les circonstances atténuantes, il aurait dû s’arrêter en me voyant souffrir. Il aurait dû, à la seconde où il m’a vue pleurer, stopper net ses bêtises.

Si je tolère ça, si je fais semblant, si je laisse passer des propos insultants, même dits avec humour, même si le fondement est bête, et peu importe de quelle bouche ils sortent, alors j’accepterai tout de tout le monde à l’avenir. Ce soir-là, alors que je le sujet n’était pas du tout d’actualité, je pensais aux enfants que je voulais avoir. Comprendraient-ils que je garde quelqu’un dans ma vie qui considère que leur existence est illégitime et contre-nature ?

J’ai attendu les années qui ont suivi qu’il me demande pardon, même un mot, un texto, je n’aurai pas cherché plus loin, j’avais juste eu besoin qu’il reconnaisse son erreur.

Cet événement a marqué une sorte de tournant pour moi, car pour la première fois, il ne s’agissait plus de vivre cette relation comme une simple histoire d’amour, nous étions soumises à l’opinion publique. A l’avis général.

Les élections présidentielles et leurs débats sur ce sujet approchaient à grands pas, et entraient dans les conversations quotidiennes, les reportages à la télévision. Je réalisais que notre histoire et son avenir n’allaient plus nous appartenir. Que pour pouvoir vivre notre histoire, fonder un foyer, être reconnues, il allait falloir bien plus que de l’amour, il allait falloir convaincre, débattre, se battre, revendiquer.

Les Manif pour Tous approchaient, comme un nuage chimique dont je n’avais pas anticipé les effets toxiques. Nous devions nous préparer à suffoquer.

 

La suite très vite ! Ce chapitre, ce récit vous a plu ? Vous avez des questions, vous voulez me partager votre expérience… ? Ecrivez-moi ❤

MC

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