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L’IMPAIR : Chapitre #12

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Les mois passaient, et même si je sentais que ma mère n’acceptait pas pleinement cette relation, j’étais heureuse de voir Aurore intégrée à la famille.

Eté 2011. Vint le mariage de mon grand-frère. Même si l’annonce à la famille était encore fraîche, j’espérais secrètement qu’Aurore serait invitée. Mais ce ne fut pas le cas. Beaucoup de monde de ma famille maternelle était attendu à cet événement, et cela aurait trop stressé ma mère. Alors Aurore n’a pas été invitée, ils n’étaient pas prêts.

Ce fut ce jour que j’eu vraiment pour la première fois la sensation d’être le nombre impair. J’étais l’impair. Cela prenait tout son sens. Je me souviens précisément de ce moment. La journée était belle, heureuse, puis vint la séance photos de groupe.

La photo de famille. Tous mes frères et soeurs réunis, chacun avec son amoureux ou son amoureuse. Et moi, seule. Ma moitié existait, mais elle n’avait pas le droit d’être là. Il y avait trois couples formés sur la photo, et j’étais la septième personne, seule.

Je ne ressentais pas de colère, pas d’injustice, mais un vide immense. Le temps d’une journée j’étais séparée de celle que j’aime pour satisfaire la société. Ne pas faire de vagues. Elle me manquait terriblement. Je souriais sur ces photos mais mon coeur, mes pensées étaient avec elle.

Je comprenais que ce choix n’était pas celui de mon frère et ma belle-soeur, ils nous avaient d’ailleurs écrit, à Aurore et moi, avant le mariage. Je savais qu’il s’agissait encore une fois d’un consensus général pour ne pas brusquer mes parents. Marie-Clémence pouvait bien encaisser cette situation, mais ma mère, non, elle n’aurait pas pu encaisser le fait que je vienne accompagnée. Je devais être celle qui protège et non celle qui est protégée encore une fois.

Aurore et moi n’avons jamais eu de rancoeur sur cet événement. Elle la première ne voulait pas faire de vagues, pas brusquer, et trouvait cela bien comme ça. Elle adorait mon frère et ma belle-soeur et ne voulait pas être un problème pour ce jour important pour eux. Elle calmait mon impatience, me faisait comprendre qu’il fallait laisser les choses arriver chacune en son temps. Elle-même ne se sentait pas de se retrouver plongée, voire noyée dans cette grande famille pour un mariage. Mais je ruminais.

J’y arriverai. Je ne lâcherai pas le morceau.

Je me concentrais sur ma vie avec Aurore. Nous avions retapé tout l’été l’appartement que nous venions d’acheter. Nous avions pris pour vingt ans de crédit, et ça, c’était un engagement solide.

Mais je restais angoissée depuis la mort de Silvère. J’étais obsédée par le fait de nous protéger en tant que couple. Il ne s’agissait plus seulement d’assumer qui j’étais et qui j’aimais, je voulais que la société, l’Etat, le reconnaisse. J’avais la peur au ventre qu’il nous arrive quelque chose, à elle ou moi, et que tout ce que nous étions en train de construire ne représente rien, sous prétexte que nous sommes deux femmes. J’avais peur qu’en cas de décès, on ne lui laisse pas ma part de l’appartement par exemple.

Aurore comprenait mon angoisse et voulait aussi nous protéger légalement.

A la fin de l’été 2011, nous avons posé nos valises pour la première fois, un soir, dans notre appartement, ce lieu qui nous appartenait à toutes les deux, notre projet. Nous n’avions quasiment aucun meuble, juste quelques cartons et un matelas gonflable, mais nous nous sentions tellement libres et fortes.

Je revois cette soirée. Je revois cet instant. Ce moment où Aurore est là, allongée, épuisée, sur notre matelas gonflable, au milieu du salon. Et moi, assise sur le rebord de la fenêtre, admirant la minuscule vue sur le Sacré Coeur que nous avions. J’étais heureuse.

Dans cette douceur de fin de journée et de début d’une autre vie, elle me dit :

“Mon amoureuse ?”

“Oui ?”

“Est-ce que tu acceptes de te pacser avec moi ?”

C’était un moment simple, mais elle me comblait de bonheur encore une fois. Je voyais le Pacs comme des fiançailles, comme une reconnaissance légale de notre couple. Encore une fois, ça n’avait rien à voir avec mes rêves de petite fille. Souvent j’avais imaginé qu’un jour moi aussi j’aurai une demande en mariage, avec un homme, genou à terre, dans un beau restaurant. Et une fois de plus, la vie sait nous surprendre. Le mariage était encore une lointaine utopie, c’était un sujet à peine abordé à l’approche des élections, et nous n’y croyions pas encore. Alors j’avais là devant moi une demande en Pacs. Pas un mariage avec deux cents personnes et une robe blanche, pas une demande avec feu d’artifice et violons. Juste mon grand amour, face à moi. J’échangeais à cet instant tous ces rêves de petite fille contre cet engagement, ce moment, sans aucun regret.

Evidemment l’annonce à mes parents s’est plutôt mal passée. Si mon père n’a pas beaucoup réagi, ma mère, elle, m’a envoyée toute sa tristesse au téléphone. Des larmes, beaucoup de larmes, des soupirs encore. C’était douloureux pour toutes les deux. Mais quoi ? Je fais quoi ?

Je faisais pleurer ma mère encore une fois. Elle ne dormait plus depuis des mois et j’avais envie de hurler. Je savais que je n’étais pas la seule raison de ses maux, que j’étais plutôt la goutte qui fait déborder le vase, mais je me sentais responsable. Je la brusquais, je devenais presque méchante au téléphone. Je voulais avoir la phrase qui la choque, lui donner le déclic, je voulais qu’elle se lève, qu’elle se batte, qu’elle s’acharne, qu’elle hurle ce qu’elle ressentait. Je voulais qu’elle se libère. Et qu’elle accepte. Je voulais qu’elle voit tout ce qui était peint hors du cadre. Je voulais qu’elle s’émerveille face à l’amour, je voulais qu’elle soit fière d’avoir une fille qui garde la tête haute et qui veut être libre.

Et ça ne marchait pas. C’était moi qui hurlait intérieurement.

Plus j’insistais, plus elle reculait. Je perdais à chaque fois, et je sais que le reste de la famille commençait à m’en vouloir de la secouer comme ça, sans arrêt. Car tout le monde recevait sa tristesse au quotidien, pas que moi. Mon père, mes frères et soeurs en pâtissaient aussi de tous ces problèmes. “Maman est fragile”. Ok. “Laisse la un peu tranquille”. Ok.

Je relâchais parfois, et je revenais à la charge après. Je n’arrivais pas à laisser tomber, je n’y arrivais pas, ça m’obsédait.

Nous nous sommes pacsées en décembre 2011, un mercredi matin, à la mairie du 18ème. Il y avait 3 de mes meilleures amies. Cela a duré quatre minutes dans un bureau administratif. Nous sommes sorties, nous avons échangé des alliances et c’était fait.

Nous avons tout de même organisé une fête avec quelques copains, collègues, mes frères et soeurs et ma cousine, dans un bar. La première fois que nous réunissions notre entourage autour d’un événement qui nous concernait en tant que couple.

Je repensais à cette phrase qu’Aurore m’avait dite avant que je lâche tout pour elle. Que ça allait être difficile, car tous les gens ne seraient pas spontanément heureux pour nous, alors qu’on l’est généralement pour les couples hétérosexuels, qu’il allait falloir se battre.

Il fallait donc utiliser notre seule arme. On a bombardé notre vie et notre entourage d’amour, on les a plongés avec nous dans notre relation, on a transpiré le love sans retenue, et ce jour-là, j’ai vu dans leurs sourires la joie de célébrer l’Amour, notre Amour.

 
IMG_1832

Petite photo du jour de notre Pacs 😉

Prochain chapitre très bientôt ! J’attends vos retours ❤

MC

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