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L’IMPAIR : Chapitre #11

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Mon nouvel objectif était donc que mes parents rencontrent Aurore. Et il fallait commencer par mon père.

Aurore et moi vivions dans un studio, officiellement à mon nom. Dans la réalité, mes parents n’en n’avaient pas conscience, nous habitions réellement ensemble. Aurore avait quitté la maison de sa mère en banlieue, et nous voulions construire notre vie commune.

Avec nos huit ans d’écart, elle avait envie d’investir, d’acheter un appartement à Paris pour que nous nous y installions. J’avais à peine 24 ans, et je décidais de la suivre dans ce projet, seulement 6 mois après avoir annoncé à mes parents que j’étais avec elle. Ou comment ne pas arranger mon cas.

Lorsque je leur ai annoncé au téléphone, mon père m’a partagé ses inquiétudes financières. Comment choisir de faire un crédit dans une banque pour vingt ans avec une personne que l’on connaît depuis si peu de temps ? Et ma mère, elle, est restée silencieuse. Je pense qu’elle a compris que cette relation n’était pas une passade, mais bel et bien partie pour durer, très longtemps.

Mon père était régulièrement à Paris pour des rendez-vous professionnels, mais nous ne nous voyions jamais à ces occasions, lui comme moi pris par nos vies. Aurore et moi avions trouvé notre appartement, dans le nord de Paris à Marx Dormoy et j’ai choisi cette opportunité pour que la fameuse rencontre se fasse. J’ai demandé à mon père qu’il vienne le voir pour la contre visite. Lui et moi avions bien compris que ce n’était pas que l’appartement qu’il allait découvrir.

Je me souviens d’entrer dans la rue, ce soir là avec Aurore, et de le voir au loin, en bas de l’immeuble, nous attendant en fumant sa pipe. Et Aurore très stressée, me demandant si elle devait lui faire la bise, lui serrer la main, l’appeler Monsieur… Mais j’avais confiance en mon père, et confiance en elle. Deux des personnes que j’aimais le plus au monde allaient se rencontrer, cela ne pouvait pas mal se passer.

Et cela s’est très bien passé.

Cela n’a duré peut-être qu’un quart d’heure, le temps de la visite, mais ils se sont salués, et nous avons brisé la gêne en nous concentrant tous sur l’appartement. Toujours égal à lui même, il ne montra rien de particulier, je ne su percevoir s’il était perturbé de « la voir en vrai », de voir sa fille avec une femme. Encore une fois, il s’attacha à me protéger de son opinion. Il voulait, lui aussi, que tout cela soit normal.

La première étape, la plus simple, était passée.

Il fallait maintenant qu’elle rencontre ma mère. Qui, elle, n’en n’avait absolument pas envie. Je faisais régulièrement des allusions à une éventuelle rencontre, qu’elle écartait systématiquement, me gratifiant à chaque fois de soupirs au téléphone, puis de larmes.

Lorsque j’étais avec mon copain, nous passions des weekends avec mes parents et mes frères et sœurs. Pour moi, il n’y avait aucune raison qu’Aurore ne m’accompagne pas. Mais ma naïveté avait encore frappé. Evidemment, ma mère n’était pas prête à la rencontrer. Et ça me rendait folle. Cela me mettait en colère. Qu’elle se cache comme une enfant, effrayée. Je voulais qu’elles se confrontent. Que les « a priori » tombent.

J’ai donc décidé assez vite de ne plus rendre visite à mes parents s’ils n’acceptaient pas que je vienne accompagnée. Je refusais d’être traitée différemment de mes frères et sœurs qui, eux, étaient accueillis avec leur moitié sans problème. Mes parents vivaient assez mal cette forme de chantage affectif que je leur faisais. Mais je n’avais pas le choix. Si j’acceptais d’exister sans Aurore auprès d’eux, aucune chance que leur pensée évolue. Il fallait foncer et détruire les barrages. Je leur annonçais donc clairement qu’ils ne me verraient plus seule. Si ils voulaient me voir, ce sera avec elle. Je n’existe pas à moitié. J’existe pleinement, et Aurore fait partie de mon entièreté.

Plusieurs occasions de se voir ont donc été avortées à cause de mon choix. Je tenais. Ils me manquaient, je me trouvais parfois injuste, et à la fois je ne pouvais pas faire autrement. Il fallait que je tienne le coup.

Un jour donc, je suggérai à mon père une fois de plus de venir les voir avec Aurore. Il me répondit qu’il devait en parler avec ma mère. J’avais l’impression de passer à la douane, de devoir passer des barrages. Il me rappela dans le weekend pour m’annoncer que ma mère acceptait de recevoir Aurore chez eux.

La date arriva enfin. Toute la famille était présente je crois. Ils étaient tous dans notre maison familiale bourguignonne et nous devions les rejoindre avec Aurore. Arrivées sur place, mes sœurs nous accueillirent avec le sourire. Tout le monde était très, très stressé.

Aurore la première.

Elle savait qu’elle n’était pas la bienvenue, me voyait pleurer au téléphone avec mes parents depuis des mois… Bref, ce fut pour elle aussi une étape difficile. J’ai encore l’image précise de la rencontre. J’étais dans le salon avec Aurore, mes sœurs et mon père, qui nous avaient accueillies à la sortie de la voiture. Nous attendions maintenant ma mère.

Elle entra dans la pièce.

Quelques secondes perdues dans l’univers, flottant au dessus de nous.

Puis elles se sont approchées l’une de l’autre et se sont embrassées, souriantes. Stressées, mais souriantes. A cet instant précis, tous les préjugés sont tombés d’un coup, comme une fenêtre qui explose.

Ma mère avait une image d’Aurore caricaturale, je pense. La lesbienne de huit ans de plus que sa fille qui lui a volé l’image qu’elle avait de son enfant et ce qu’elle imaginait pour elle. Une fille d’un autre milieu, masculine. La Josie quoi.

Et Aurore voyait ma mère comme une bourgeoise catholique ultra coincée, désagréable, austère, qui faisait pleurer sa fille au téléphone.

Mais elles se sont vues « en vrai ».

Aurore a vu que ma mère était un petit bout de femme/enfant, timide, souriante, gentille, douce et drôle. Et ma mère a vu Aurore, cette femme qui ne fait pas son âge, très polie, drôle, extrêmement attentionnée et généreuse.

Nous retenions tous, intérieurement, notre souffle. Et Aurore fit ce qu’elle savait si bien faire : elle détendit l’atmosphère avec quelques blagues, puis, comme un barrage rompu, la rivière se remit à couler.

C’était fait.

Incroyable. Ma mère se détendit très vite, riant aux éclats dès qu’Aurore la taquinait pour la décoincer. Le charme de mon incroyable Amoureuse opérait. Elle était là, ma réponse, le déclic que je cherchais, elle était évidente finalement encore. C’était elle.

A partir de ce jour, Aurore fut la bienvenue à la maison. Elles jouaient, ma mère et elle, à des jeux de société, cuisinaient ensemble… C’était surréaliste.

Et moi je m’envolais. Je commençais à croire que tous les blocages avec mes parents étaient terminés. Mais c’était une situation à double visage.

D’un côté, nous allions souvent voir mes parents, nous passions du bon temps avec eux, nous étions bien. Et d’un autre, je sais que ma mère souffrait toujours autant.

Dès que j’abordais le « nous », elle se braquait. Quand je parlais d’Aurore seulement, tout allait bien, mais la notion de couple la gênait. Un jour, elle m’a dit : « Pour moi, Aurore fait partie de la famille, je l’aime de la même manière que mes autres beaux-enfants. Je l’aime beaucoup. Mais j’aurai préféré que ce soit ma fille plutôt que ta compagne. Elle est un membre de la famille, mais dans ma tête, vous n’êtes pas ensemble. »

J’avais donc gagné le pari qu’Aurore serait aimée de ma famille, mais j’avais perdu celui de nous faire accepter comme un couple.

 

Hâte de lire vos mots ❤

MC

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