En écrivant le titre de cet article, je me rends compte que jamais je n’avais imaginé qu’un jour je l’écrirai pour moi. Je suis un peu surprise, dubitative, face à cette réalité : j’ai fait une fausse couche. J’aimerai que les mots me viennent tout de suite, je les pense depuis des jours, j’imagine ce que je vais vous dire, ce que je vais partager ou pas, tout me vient en désordre. Mais là, j’ai l’impression que cet événement n’a de sens, ne peut être compris que si je vous raconte d’abord les mois qui ont précédé cette épreuve.
Avec Aurore, nous sommes les mamans de Charlie, qui a fêté ses deux ans en juillet dernier. Après un parcours de PMA en Espagne dont je vous ai souvent parlé (vous pouvez retrouver mon article sur ce sujet en cliquant ici), après seulement un échec, je suis tombée enceinte. Depuis, nous découvrons chaque jour les joies de la maternité, ses difficultés aussi.
En novembre 2019, nous avons décidé, avec Aurore, ne nous relancer dans l’aventure de la PMA. Je me lançais la boule au ventre car j’avais beaucoup souffert physiquement pour Charlie. Nous avons recontacté la clinique qui nous avait suivies à San Sebastian, Quiron, qui nous a indiqué avoir encore en stock suffisamment de sperme du même donneur que Charlie pour deux essais. Bonne nouvelle ! Si ce n’était pas impératif pour nous, nous avions pensé qu’idéalement, il aurait été bien que Charlie et sa soeur/son frère aient les mêmes gênes, histoire de nous rassurer sur leur santé etc., même si, on est bien d’accord, ça ne garantit rien, puisqu’on voit qu’au sein d’une même fratrie, des enfants peuvent avoir des caractères ou des santés très différents en ayant les mêmes gênes.
Premier essai en novembre 2019. Aucune douleur ! Mon corps a changé après la 1ère grossesse, mon bassin est plus large, plus adapté maintenant pour ces traitements. Une bonne nouvelle qui m’a rassurée. Premier essai donc, et premier échec. J’ai beaucoup pleuré (les hormones, tout ça…), mais je l’ai accepté très vite, car j’y étais préparée. Nous avons donc enchaîné assez vite pour le 2ème essai. Celui-ci a eu lieu en pleines vacances de Noël, alors que nous étions en Bourgogne dans ma famille. Tant pis, nous avons improvisé et parcouru des centaines de km pour traverser la France vers l’Espagne un peu en dernière minute. Deuxième essai, deuxième échec. Et celui-ci a commencé à avoir un goût amer. Nous avons du renoncer au même donneur, nous avions joué nos cartes.
Mon moral a changé à ce moment là. Car si j’avais déjà vécu un échec avant Charlie, je ne connaissais pas la sensation de deux échecs d’affilée et j’ai commencé à stresser, vraiment. Dans notre clinique, il est recommandé, au delà de quatre essais d’insémination, de passer à la FIV. Le coût et le traitement ne sont pas les mêmes. Près de 5000 € contre 1500 €. Nous avons donc continué nos essais.
Mars 2020 : 3ème essai. Nouveau donneur, des réactions au traitement toujours aussi bonnes pourtant, et nouvel échec. J’ai appris que ça n’avait pas marché la veille du confinement. Je suis rentrée à la maison abattue, triste, fatiguée nerveusement et physiquement. Trois échecs, je n’avais plus de forces, déjà. Cette période à la maison a finalement été une bonne chose car elle m’a forcée à lâcher un peu prise. A attendre, me reposer.
Le confinement levé, l’envie de retourner me battre est revenue aussitôt. Nous avons rappelé la clinique et nous y sommes retournées pour notre 4ème essai. Une ambiance encore différente, un passage de la douane franco-espagnole au milieu des militaires, avec notre autorisation spéciale de passer la frontière pour nécessité médicale, tout était si étrange, tout avait changé depuis le dernier essai.
Et là, j’ai senti très fort que ça allait marcher. Nous nous sommes retrouvées dans la même salle d’intervention que pour la conception de Charlie. Le même médecin (à chaque fois nous en avions un différent) et toujours ce mur recouvert de photos de ces bébés PMA. Et au milieu de ces visages souriants, notre petite Charlie, dont nous avions envoyé le faire-part de naissance à l’époque. Et bonus, c’était l’anniversaire du grand-père d’Aurore qui l’a élevée. Tout était réuni pour que ça marche.
Dès les jours qui ont suivi, je me suis sentie différente. Enceinte.
Le 20 juin 2020, c’est notre anniversaire de mariage. Et le jour J pour le test de grossesse. Je fonce à la salle de bains et je le fais. Il est négatif. Je fonds en larmes, je suis déprimée, dévastée par ce nouvel échec. Je montre le test à Aurore et je le jette. Dans la matinée, je n’accepte pas ce verdict. Je ne suis pas d’accord avec le résultat, je le sens au plus profond de moi, je suis enceinte. J’en parle à Aurore qui semble embarrassée, ne sachant pas comment me faire accepter cet échec. Je retourne à la poubelle et je récupère le test. Une barre bleue est là, à peine perceptible, mais elle est là. J’y crois à nouveau et je vais faire une prise de sang tout de suite.
Résultat : positif.
La joie, la libération. Vraiment. J’ai eu le sentiment que cette chape de plomb que je tentais de porter sur mes épaules, qui m’écrasait chaque jour, je pouvais la déposer à mes pieds et courir. C’est terminé. Les essais, les piqûres, l’attente, le désir, c’est terminé. Je dis même à Aurore que je ne veux pas d’autre enfant. Deux, c’est bien ! Arrêtons-nous là, car de toute manière, je ne veux plus recommencer tout ça. Je veux profiter, être sereine, avec mes deux enfants. Nous avons déboursé 6000 € pour ces quatre essais, et ça aussi, je ne veux plus.
Très vite, les symptômes viennent confirmer cette grossesse : des nausées à ne plus pouvoir me lever le matin, une fatigue immense, je suis KO. Ce n’est pas grave, j’ai un moral au top, mais physiquement, je découvre ce que beaucoup de femmes ont vécu au 1er trimestre et que j’avais évité pour Charlie.
Mi-juillet, c’est la première échographie. Le matin même, je suis stressée, je pleure. J’ai peur que la prise de sang m’ai menti, puisque tout est un peu flou depuis le début. Je pleure devant la sage-femme et Aurore qui me rassurent toutes les deux : le bébé est bien en route, et son coeur bat comme il faut.
Je peux donc partir en vacances sereine. Tout l’été, les nausées ne me quittent pas et le canapé non plus. Impossible de cacher cette grossesse : mon ventre s’arrondit et grossit de jour en jour ! J’ai l’impression d’être enceinte de quatre mois, je ne ferme plus mes jeans, je n’arrive plus à dormir sur le ventre. Tout est intense. Pour Charlie, mon ventre s’est développé à plus de quatre mois de grossesse, et je ne ressentais pas grand chose avant. Pour cette fois-ci, je me sens pleinement enceinte. Je touche mon ventre tout le temps, je me protège beaucoup, il est la première chose à laquelle je pense en me réveillant. Je dis il, car je sens que c’est un garçon, c’est une évidence. Nos projets se concrétisent avec Aurore, nous parlons prénoms, nous organisons notre agenda des prochains mois en fonction de ça.
Même si je suis réaliste, je ne crois pas au fond de moi que tout puisse s’arrêter. Cela ne peut pas me tomber dessus, pas après ces mois de galère.
Puis vient le 18 août. Je suis en Bourgogne, nous prenons la route avec Aurore et Charlie pour rentrer chez nous, à Dax, après un mois d’absence. J’ai de légères crampes dans le ventre, des tensions, et de petits saignements. Je sais qu’ils sont fréquents au 1er trimestre. Je ne m’inquiète pas beaucoup, mais je suis soucieuse tout de même. Sur la route, j’appelle l’hôpital de Dax. Ils me recommandent de venir à mon arrivée pour contrôler tout ça. Rien d’alarmant.
Aurore me dépose à l’hôpital et file à la maison avec Charlie, déjà bien fatiguée de notre long voyage en voiture. Deux internes m’auscultent. Tout semble aller bien, le sang vient de mon utérus qui est un peu “friable”. Nous allons tout de même compléter avec une échographie.
Je suis allongée, elles regardent l’écran. Je relève la tête pour le voir aussi, car j’ai envie de voir mon bébé. Nous sommes à une semaine de l’échographie des 3 mois, je sais que je vais voir un petit profil et j’ai hâte. Mais elles tournent l’écran vers elles pour me le cacher et le silence s’installe. On entend rien. Personne ne parle, et surtout, surtout, on entend aucun battement de coeur. Le silence.
Je comprends.
Je suis un peu figée. La jeune fille de bonne famille que je suis n’ose rien dire. La seule chose à laquelle je pense à cet instant c’est : “Les pauvres, elles doivent m’annoncer que le bébé est mort, elles ne savent pas comment me le dire. Ce doit être si difficile comme métier. Je vais essayer de ne pas les encombrer. Je ne vais rien dire et attendre qu’elles soient prêtes à me parler, après je rentrerai à la maison. ”
Je fuis une fois de plus une réalité qui me concerne pour me concentrer sur l’état et le bien-être des autres. Syndrome catho…
“Je n’ai pas d’activité cardiaque. Il semblerait que le coeur de votre bébé se soit arrêté. D’après sa taille, je dirai il y a 3 semaines.”
Je suis en état de choc. Tentant de contrôler ma seule envie : hurler, pleurer, m’accrocher à mon ventre, m’accrocher à lui. Il est parti, il ne vit plus, et depuis longtemps déjà. Il était là, en moi. Je l’ai senti, mon coeur a battu avec lui pendant trois mois, j’en suis sûre. Mais il était déjà parti, et je n’ai pas pu lui dire au revoir, je n’ai pas pu le sauver, c’est déjà trop tard. Je suis impuissante.
Les médecins tentent tout de suite de me rassurer : ce n’est pas de ma faute. Et je les arrête tout de suite : je le sais. En trois mois, je n’ai fait aucun écart : pas d’alcool, pas de sport, pas d’activité risquée, pas de coups, rien. Je suis restée quasi immobile pendant trois mois, alors je le sais. C’est juste comme ça.
Puisqu’il était encore moi sans que mon corps ne m’alerte, aucune fausse couche n’est à prévoir tout de suite, elles me proposent donc de faire une aspiration. Dans une semaine, on a le temps, maintenant.
Je rentre à la maison. Je suis désorientée, choquée, abasourdie. Mon ventre est là, rond. Je pourrais boire un verre de vin pour soulager ma peine ce soir, mais je peux pas. Je suis enceinte, mon cerveau n’accepte pas l’information envoyée par mon corps, il n’est pas d’accord.
Je pleure, beaucoup, mais je me contrôle. J’ai des amis à la maison, et une petite fille qui ne comprend pas mon regard si triste. Je lui explique, à notre petite Charlie. Nous lui avions annoncé qu’une petite graine était en train de germer dans mon ventre, je lui explique que cette graine s’est arrêtée de pousser, et que je suis triste. Je suis angoissée aussi à l’idée d’attendre une semaine avant de faire cette aspiration. Devoir garder en moi ce bébé qui ne vit plus, je ne comprends pas.
Aurore fait face. Elle est déçue, triste, mais surtout inquiète pour moi, je le vois. Elle sait combien ces derniers mois ont été difficiles, combien je l’attendais, cette grossesse. Elle sait que les mois à venir seront tout aussi compliqués.
Je me couche fatiguée, exténuée, plongée dans une profonde solitude. Et je m’endors. A 4h du matin, je suis réveillée par une douleur immense, aiguë. Je la reconnais, cette douleur, ce sont des contractions. Je suis pliée dans le lit, ne sachant comment me positionner pour la soulager. Aurore tente de me convaincre d’aller aux urgences, je ne veux pas. Que vont-ils faire ? Me donner un Doliprane ? C’est trop tard de toute manière, il est déjà mort, je ne peux rien faire. Elle insiste et je cède. Je me lève, dépassée par la douleur qui s’intensifie. Je me brosse les dents et je sens subitement quelque chose qui éclate dans mon ventre. Une poche, la poche. Et je me vide.
Du sang, énormément, le liquide amniotique aussi, je comprends qu’il faut partir. Arrivée aux urgences, le médecin me le confirme, je fais une fausse couche. Le choc émotionnel provoqué par l’annonce quelques heures plus tôt l’a déclenchée. Mon corps a entendu l’information, il évacue.
La nuit et la journée qui suivent ne sont que larmes et douleurs. Je n’ai pas grand chose à écrire. Je ne sais plus quelle heure il est, je suis allongée sur mon lit et je saigne, en continu. J’ai une maladie du sang héréditaire, la maladie de Willebrand, forme d’hémophilie qui n’arrange pas les choses. Les médecins me proposent de faire tout de même une aspiration pour me soulager et arrêter les saignements qui m’épuisent. Je passe au bloc.
Je me déplace lentement dans ma chambre d’hôpital. Parfois j’entends un bébé au loin qui pleure, puisque ma chambre est à côté de la maternité. Parfois je vois une femme passer sur un brancard, le regard vide, le ventre plat, et je souffre avec elle. Je touche mon ventre, tout le temps. Il est si plat, d’un coup. J’ai l’impression d’avoir fait un cauchemar.
Je pense au fait que je dois recommencer ce parcours de PMA, j’en ai des frissons, j’en pleure. Je ne veux pas, j’ai peur, je n’en peux plus. Je sais que je ne dois pas y penser, pas tout de suite. C’est ce que le médecin me répète, ma mère et Aurore aussi. Mais je ne peux pas ne pas y penser. Je sais que j’entame un deuil, qu’il sera peut-être long, mais lorsqu’on va mal, on veut penser à l’avenir pour aller mieux, se projeter. Moi, mon avenir, c’est un retour à la case départ : piqûres, échographies, attente.
Alors non, je ne peux pas me projeter dans les prochains mois en me disant que ça ira mieux. J’aurai fait mon deuil, oui, mais je serai à nouveau en guerre.
Le deuil. Je suis en plein dedans et je passe chaque étape sans exception. Je souffre, intensément, je me sens seule, profondément. Je suis pourtant très entourée, chacun essaie de me consoler. Mais je n’ai jamais ressenti une telle solitude.
Je le vois aux témoignages que j’ai reçus, par centaines. La fausse couche est une épreuve solitaire. Une épreuve que tant de femmes traversent. 1/5 d’après mon médecin. C’est énorme. Des millions de femmes ont vécu ce que j’ai vécu, à différentes étapes de leur grossesse. Chaque femme qui m’a partagé son expérience me dit la même chose : cette souffrance est terrible et tu y penseras toute ta vie. Pas avec la même intensité bien sûr, mais tu y penseras toujours. Ce n’est pas anodin.
A l’heure où j’écris ces lignes, cela fait bientôt 15 jours que j’ai fait cette fausse couche. Je vais mieux, mais je ne vais pas bien. J’alterne des moments où je n’y pense pas, et d’autres où d’un coup, je suis débordée par la tristesse, accablée, effondrée. Je me repose, beaucoup, je vis au ralenti.
Et je souffre physiquement. J’ai des douleurs dans le dos, dans les cervicales, dans chaque articulation, jusqu’à mes poignets que je ne peux plus tourner, va savoir pourquoi. Mon ventre est tendu, douloureux. Je suis allée voir un ostéopathe qui m’a confirmé que mon corps était celui d’une femme qui vient d’accoucher, tout est tendu, rigide. Elle a tenté de me soulager, mais sans succès. Je suis allée voir ma psychologue (spécialisée en EMDR), qui m’a aidée à recréer dans ma mémoire des adieux avec ce petit être que j’aimais déjà et à qui je n’ai pas pu dire au revoir. Cela m’a aidée. Maintenant, je sais, j’accepte qu’il n’est plus là.
J’essaie d’être patiente. Le temps fait des choses merveilleuses il parait, il me l’a prouvée en tout cas ces dernières années. Alors je sais que je vais aller mieux. J’ai envie de faire beaucoup de choses, de travailler, de communiquer. Je dois juste apprendre à vivre avec cette expérience gravée en moi. Tout est pareil qu’avant et tout est différent en même temps.
Et j’y retournerai. Nous retournerons en Espagne, ou peut-être en France qui sait, car je ne vais pas lâcher l’affaire. Ce deuxième enfant arrivera et tout ira bien.
Je voulais terminer ce texte par des remerciements. Pour vous. Lorsque je me suis décidée à parler publiquement de cette fausse couche, quelques heures après avoir quitté ma psychologue, quelques heures après avoir fermé les yeux devant elle et avoir dit adieu à mon bébé, je ne m’attendais pas du tout à recevoir ce soutien, cette consolation. Des milliers de messages, commentaires, mots en privé etc. qui m’ont bouleversée. Un immense merci car vous m’avez accompagnée, j’ai reçu chacun de vos mots, j’ai reçu cet amour et il m’a fait du bien. Je sais aussi que vous avez, en faisant cela, envoyé aussi beaucoup d’amour à chaque femme passée par là.
C’est fou à quel point on parle peu des fausses couches. Si fréquentes, si douloureuses. Je ne crois pas que mon témoignage puisse aider en quoi que ce soit une femme qui traverse cela. Mais j’aime poser des mots, raconter les petites et grandes histoires de ma vie, tout comme j’aime lire celles des autres. Je me dis que dans quelques années, je serai reconnaissante envers moi-même d’avoir écrit ce souvenir, de ne pas l’avoir tu. Et puis pour lui aussi, ce petit être que j’ai tant désiré et qui m’a fait le cadeau de 3 mois de bonheur.
PMA je reviendrai, PMA je gagnerai.
Merci de m’avoir lue, merci de me suivre chaque jour un peu plus nombreux.ses ici.
MC
PS : je m’apprête à cliquer sur “publier cet article”, j’écoute Deezer depuis tout à l’heure, le flow qui me suggère des musiques que je connais ou pas. Et là, maintenant, en écrivant ces mots, c’est la chanson “If I needed you” du film Alabama Monroe qui passe, un des plus beaux films que j’ai vu, qui parle de la perte d’un enfant. Une chanson que je n’ai pas entendue depuis des années et qui m’avait bouleversée.
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