Pour lire ou relire les précédents chapitres, cliquez ici !
Les semaines et mois passaient, et les choses n’évoluaient pas. Ma mère souffrait de cette situation, et je peinais à me concentrer sur mon quotidien, en sachant ce qu’elle vivait. Mon père, lui, essayait d’échanger avec elle, mais sans succès. Je pense que la situation ne lui faisait pas plus plaisir, mais il voulait me préserver de son opinion, et surtout me garantir de son amour.
De mon côté, je ne voyais aucun mal à continuer d’étendre la nouvelle au reste de la famille, du côté de mon père seulement. Je ne redoutais personne. Mon père est le dernier d’une fratrie de sept enfants et nous sommes vingt-et-un cousins, plus ou moins proches selon les âges, et avec tous une éducation similaire.
Dans cette grande famille, si nous n’en parlions jamais, le sujet de l’homosexualité existait. Une cousine de mon père vivait depuis des années avec une femme, et tout le monde savait qu’elles étaient ensemble, mais rien n’était vraiment dit. C’est une autre génération, mais je n’aimais pas la manière dont on présentait son histoire. On me racontait qu’elle avait vécu une grande déception amoureuse avec un homme et que suite à cela, elle était finalement partie avec une femme. Comme si le fait d’être homosexuelle relevait forcément d’un choc émotionnel ou d’une déception hétérosexuelle, et non simplement d’une rencontre amoureuse. Je savais qu’elles avaient été rejetées pendant des années par une grande partie de la famille, mais que d’autres leur avaient aussi ouvert leurs portes, littéralement, et c’était rassurant. Mais on en parlait pas plus que ça, il ne fallait pas poser de questions, et je pense qu’elles ont vécu un parcours très difficile dont je suis admirative, car des dizaines d’années nous séparent et j’imagine combien les mentalités devaient être encore différentes.
Je crois énormément que l’homophobie naît en certaines personnes de par le milieu social dans lequel elles naissent. Quand on est dans une famille bourgeoise, catholique pratiquante, et que l’on ne fréquente, même à l’âge adulte, que des couples hétérosexuels, de droite, catholiques, ultra conservateurs, on ne peut pas recevoir l’homosexualité comme une chose naturelle ou bonne. Si le parcours de vie n’amène jamais à être confronté à des vies différentes des nôtres, il faut avoir une ouverture d’esprit très forte de nature pour accepter facilement tout ça.
Car comment est-on “confrontés” à l’homosexualité au quotidien ? Moi-même depuis l’enfance, les seuls “repères”, les seules “images” que j’en voyais étaient les suivantes : ces deux tantes en couple, suite visiblement à un choc émotionnel, la gay pride, qui était présentée dans les médias comme une caricature vulgaire, dépravée et anti-religieuse (évidemment je n’entendais pas du bien des hommes déguisés en bonne soeur en train de se rouler des pelles sur un char), et des faits divers à la télévision de pédophilie ou d’homosexualité qui avaient viré au trash.
Alors j’ai toujours eu beaucoup de tolérance pour celles et ceux qui, de par leur éducation, leur milieu social, ne comprennent pas et sont effrayés par l’homosexualité. L’homophobie, ce ne sont pas que des insultes dans la rue, c’est aussi l’homophobie ordinaire. Homo-phobie égal peur de l’homosexualité. Et c’est ce qu’ils ressentent pour certains je pense. La peur. Et comme pour tout, chacun réagit différemment à la peur. Quand on est effrayé par quelque chose que l’on ne connaît pas, on a plusieurs options : la fuite, l’attaque, ou essayer d’apprivoiser ses craintes. Face à l’homosexualité, c’est pareil : on la fuit comme une maladie, on l’attaque comme une ennemie, ou on l’accepte et on réalise qu’elle n’a rien de dangereux.
Avoir une famille nombreuse m’a permis de découvrir tout ce panel de réactions.
Je sais que certains de mes oncles et tantes ont appelé ma mère pour leur apporter leur “soutien”. Mais soutenir de quoi ? Pourquoi ? Ils savaient tous qu’elle vivait mal la situation et voulaient “officiellement” lui remonter le moral. Mais en réalité, ils la blessaient encore plus. Car des phrases du type : “C’est pas grave, il n’y a rien de dramatique… mais je n’aimerai pas que cela arrive à un de mes enfants !” Je sais qu’elle en a entendu ! Au lieu de l’aider, cela l’enfonçait encore plus, et me mettait en rage.
Je ne supportais pas ça. Je ne supportais pas qu’ils se mêlent de cette histoire. Chacun se sentait soudain le devoir de donner son avis. Comme si ma vie amoureuse devait être validée, alors que les autres, on les laissait bien tranquilles. Ma mère était fragile, perdue, et mon père, heureusement, réussissait à filtrer quelques appels. Je sais aussi qu’il a eu lui-même en direct des remarques difficiles, mais qu’il ne m’en a pas parlé.
Dans l’ensemble, même si je savais que les langues ne se déliaient pas devant moi, tout se passait relativement bien. La plupart de mes oncles et tantes nous ouvraient leur porte. La seule réaction très négative reçue fut celle d’une de mes tantes dont je n’étais pas très proche, qui m’envoya sans prévenir un message privé sur Facebook :
” Triste !!!!!!!!!! “.
Voilà. C’est donc tout ce qu’elle avait à me dire. Dommage pour elle qu’elle soit triste de cette situation. Moi j’étais heureuse. Elle jouait la carte du chantage affectif : “Tu me rends triste en étant homosexuelle, donc cela doit te faire réfléchir.” Non, chère Tante, pas une seconde.
Au mariage de sa fille, je suis allée la saluer en fin de soirée, pour lui dire au revoir, poliment. Elle m’a glissé : “Tu te rends compte du mal que tu fais à ta mère ?”. Je n’ai rien répondu encore une fois, c’était stupide.
Le jour où j’ai emmené Aurore pour la première fois rencontrer certains de mes oncles et tantes, cette même femme, qui ne vit plus sur le domaine familial, est venue promener son chien dans le jardin. Nous étions dehors, elle s’est plantée devant nous à 20 mètres, et nous a fixées. Longtemps. Pour voir. Sans rien dire. Pour voir à quoi ça ressemble une lesbienne. Comme un animal. Tête haute, je suis montée en voiture et je suis partie.
Ses différents “pics” ne m’ont jamais touchée, car je sais que de nous deux, elle est de loin la plus malheureuse. Une vie difficile, qui rend aigrie, et j’ai donc plutôt de la pitié pour cette femme qui a transformé ses douleurs en colère. Elle aura par contre, le jour de mon mariage, le message de trop que je ne pardonne pas. A suivre.
Je voulais parler rapidement d’Aurore à mes cousins. Nous étions nombreux, et la plupart avaient mon âge, j’ai pensé qu’ils comprendraient facilement. Je n’ai pas fait d’annonce officielle, mais il suffit de propager la nouvelle à une ou deux personnes et en quelques jours, tout le monde le sait ! Si la plupart ont été très accueillants pour Aurore, je savais que certains n’aimaient pas cette situation. Ce que j’attendais d’eux ? De la vérité, de la transparence. Je préfère mille fois que l’on me dise en face que l’homosexualité les met mal à l’aise, plutôt que d’avoir des sourires et des “pas de soucis”, alors qu’ils sont écoeurés.
J’ai toujours été particulièrement proche de trois de mes cousines dont seulement quelques mois nous séparent. Nous avons finalement grandi ensemble, avec des personnalités distinctes. J’étais perçue jusqu’ici comme l’enfant modèle. Petite, je passais des étés chez elles et je ne cessais de faire le ménage, aider aux différentes tâches domestiques, et ma personnalité douce et polie ravissait mes tantes qui aimaient m’avoir avec elles. Lorsque mon histoire d’amour a débuté avec Aurore, chacune de mes cousines était en couple depuis longtemps, installée, et mariée ou presque avec le gendre idéal.
J’ai eu trois réactions très différentes. L’une d’elle, avec qui j’ai toujours eu de bons rapports, a plutôt bien réagit, me gratifiant seulement de quelques questions un peu indiscrètes sur ma vie intime qu’elle n’avait jamais posées pendant mes cinq ans de relation avec mon copain. Mais peu importe, son franc parlé me plaisait, et je comprenais cette curiosité, même si elle était, sur le fond, un peu déplacée. Elle nous a par la suite, avec Aurore, toujours intégrées dans les événements de sa vie, en l’invitant à son mariage par exemple, ce qui était important pour moi.
Une autre cousine, dont j’ai toujours été très proche aussi, a, quant à elle, choisit une autre option : le silence. Cette jeune femme extrêmement pieuse a été la plus touchée par cette histoire. Je pense que je lui ai fait peur. Elle qui vit sa religion chrétienne avec un engagement sans limite n’était pas préparée. On ne dit pas vraiment dans l’Eglise et dans notre éducation quelle réaction nous devons avoir lorsque nous avons un membre de notre famille qui est homosexuel. On ne nous apprend pas ce qu’il faut, parmi les milliers de règles qui régissent notre quotidien d’enfant de bonne famille. Alors la seule réaction qu’elle a eue est la politesse et le silence, et je ne pouvais pas lui en vouloir. Elle tient cette ligne encore aujourd’hui. Distance, silence, et politesse. Cette différence entre nous a été trop importante pour elle pour qu’une vraie relation existe encore aujourd’hui. Distance, silence, et politesse.
La dernière cousine de ce quatuor que nous formions est celle dont j’ai toujours été la plus proche. Ce n’est pas une amie qu’on choisit et qui partage la même vie, les mêmes pensées, mais plutôt une sœur qu’on ne choisit pas mais que l’on ne peut s’empêcher d’aimer malgré nos différences. Elle est passée par toutes les étapes je crois. La surprise, la curiosité – qui l’a poussée à me poser TOUTES les questions du monde à ce sujet – l’empathie (elle a vraiment cherché à me comprendre), et la bienveillance qui l’ont amenée à ne jamais me lâcher ou me critiquer. Et Dieu sait à quel point je sais que cette nouvelle l’a bouleversée. Elle avait de grands projets pour nous, ma cousine : chacune mariée à un homme de bonne famille, avec nos enfants, partant en vacances ensemble, partageant des vies similaires. Et je reconnais avoir rêvé moi aussi d’une vie comme celle-là, calquée sur celle de nos parents. Le jour où je lui ai annoncé cette relation, je crois qu’elle a réalisé que nous ne pourrions pas avoir cette « vie commune » que nous imaginions, car cette différence allait être encombrante.
Et lorsqu’un jour, elle m’a laissé ce message vocal, je l’ai aimée encore plus :
“Hello cousine, j’espère que tu vas bien ! Je voulais prendre quelques nouvelles. (…) Tu me rappelles ? Je vous embrasse tous les deux. Heu… Toutes les deux, pardon, désolée, il faut que je m’y fasse !”
Voilà, c’était un message maladroit, mais direct, plein de vérité. Oui, il fallait qu’elle s’y fasse, et c’était normal.
Une autre fois encore, je l’ai invitée à me retrouver dans un café théâtre, le Pranzo à Paris, où j’allais régulièrement avec Aurore voir des copains humoristes pour des scènes ouvertes. C’était l’occasion pour moi qu’elle apprenne à connaître Aurore, qu’elle passe du temps avec mes amis, dans mon univers. Lorsque pendant la soirée, elle m’a posée cette question, j’ai ri comme jamais : “Est-ce que c’est un bar homosexuel ? Est-ce que tout le monde ici est homo ?”. En fait, elle croyait que maintenant que j’avais une relation amoureuse avec une femme, j’allais ne fréquenter que des bars gays.
Que j’aime cette franchise, cette maladresse touchante de quelqu’un à qui on n’a pas appris, mais qui essaie. Qui essaie de comprendre, de s’adapter. C’est cela, elle a essayé de s’adapter. Il lui aurait pris quelques heures pour me sortir de sa vie comme d’autres l’ont fait, avec plus ou moins de discrétion, mais elle, depuis toutes ces années, essaie chaque jour de s’adapter à mon histoire, de modifier son mode de pensée, malgré son cercle familial proche profondément anti-mariage pour tous, dont la seule raison qu’ils donnent est qu’ils veulent « protéger les valeurs de la famille. »
Je trouve que des personnes comme elle ont mille fois plus protégé ces valeurs que ces millions de personnes qui sont allées marcher contre le mariage homosexuel et dont je partage avec plusieurs dizaines mon nom de famille.
La suite très vite ! Merci pour vos retours toujours plus nombreux ❤
MC
Comments