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L’IMPAIR : Chapitre #8

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Chaque étape de ma relation avec Aurore était tellement intuitive, tellement imprévisible, que j’en avais oublié qu’il allait falloir l’annoncer à mes parents, à ma famille. Je ne sais pas pourquoi, je crois que je ne m’étais pas interrogée sur cette étape. Comme s’il n’allait pas y avoir d’étape justement. J’avais plus peur de leur annoncer ma séparation avec mon copain, que de leur annoncer ma relation avec Aurore. J’ai donc commencé par passer le mot sur ma rupture. Et alors que je pensais que tout le monde tomberai des nues et que je les décevrai d’avoir échoué dans cette relation, j’ai senti au contraire un certain soulagement. Non pas qu’ils ne l’aimaient pas, au contraire, il avait une vraie place dans la famille, mais plutôt comme si tout le monde, sauf moi, savait depuis longtemps que nous n’allions pas terminer nos jours ensemble. Comme si tout le monde savait qu’il ne me correspondait peut-être pas vraiment, que nos chemins se séparaient. Je crois que c’est le cas de beaucoup de gens dans une rupture, la famille ou l’entourage proche révèle souvent avoir pré-senti les choses, mais n’osait pas s’en mêler. J’ai donc été assez surprise par la “facilité” d’acceptation, alors que cela me stressait beaucoup. Comme si je voulais ignorer le plus difficile à dire.

Comme à aucun moment je ne me considérai comme homosexuelle, je n’avais pas l’impression de devoir faire un “coming-out”, car ça n’en était pas un. Mais les semaines et les mois passaient, et je me sentais frustrée de ne pas parler d’Aurore à ma famille. Car ils sont très importants pour moi, et que, comme tout le monde, lorsque je suis heureuse, j’ai envie de le partager. Cela devenait difficile de dire “J’ai fait ça”, “J’ai vécu telle ou telle expérience”, alors que j’avais envie de dire “On”. Et je l’aimais tellement, j’avais envie de parler d’elle, de leur raconter cette personne exceptionnelle qui avait bouleversé ma vie.

Je suis très liée à mes parents. Ils ont toujours été très présents dans ma vie, nous sommes une famille de quatre enfants, avec une éducation chrétienne classique.

Ma mère est une fille de bonne famille, mère au foyer qui a consacré sa vie à ses enfants et son mari. Elle a elle même un rapport complexe avec ses propres parents : élevée dans une éducation stricte, elle les vouvoie et ne reçoit pas de coup de fil pour son anniversaire, mais elle a un respect pour eux qui est immense, et ils ont une autorité forte sur elle depuis toujours. Mon père, lui, est le petit dernier de sept enfants, une “bonne famille ” aussi comme ils disent.

La place que l’on occupe dans une famille est déterminante pour notre vie, à mon sens. La structure familiale dans laquelle on grandit définit beaucoup de choses, et nous donne les armes (ou non) pour affronter les obstacles. Pour ma part, nous sommes donc quatre enfants, mais mes parents ont perdu un bébé avant moi. Il y a donc mon grand-frère, puis cet autre grand-frère que je n’ai pas connu, ensuite moi, et enfin deux petites soeurs. J’ai nourri pendant près de 15 ans une obsession pour ce frère disparu à quelques mois. Dès mon enfance, j’avais avec moi, où que j’aille, son faire-part de décès, avec sa photo, dans mes affaires. J’allais à l’école avec, il était dans mon agenda, tout le temps. J’avais besoin de le regarder, de regarder cette photo en noir et blanc de ce bébé et de me “connecter” à lui. Je rêvais très souvent de lui, et je pensais sans cesse à la douleur de mes parents. Nous n’évoquions que rarement ce frère, mais je ressentais une peine continue et immense de l’avoir perdu, moi qui ne l’avais pas connu. Je voulais consoler mes parents, je voulais le faire revivre, je voulais qu’ils ne regrettent pas que moi j’ai survécu, et lui non.

Les enfants sont très égo-centrés, c’est un fait connu. Et bien j’ai voulu tout porter. L’idée que mes parents puissent être contrariés par quelque chose, quoi que ce soit, me révoltait. Lorsque mon père a perdu sa mère, ma grand-mère, et que je l’ai vu pleurer, qu’il a pleuré dans mes bras de petite fille de dix ans, j’ai ressenti une émotion tellement forte, une douleur qui compressait ma poitrine, que je n’arrivais plus à respirer. Je ne voulais pas qu’il ou elle souffre, jamais, et donc aussi, que jamais ils ne soient déçus par moi. Je devais être à la hauteur.

J’ai donc longtemps aimé jouer à la “petite fille modèle” à la maison : ménage, rangement, devoirs, je voulais que mes parents soient satisfaits, surtout ma mère. J’avais aussi besoin d’apporter un maximum de vie à cette maison. Tout le monde est de nature plutôt réservée chez nous. Nous ne sommes pas une famille “bruyante”, extravertie. Des gens simples, bien élevés. Moi, j’avais besoin qu’il se passe des choses, tout le temps. Je ne supportais pas le silence. Les repas à six dans le calme, ça ne me plaisait pas. J’étais donc à l’école une fille très réservée, plutôt timide, et à la maison, j’avais un débit de parole assez important, au point de les rendre fous parfois. Besoin qu’il y ai de la vie, besoin de sortir de cet état de deuil permanent que je ressentais dans l’atmosphère. En réalité, tout le monde allait bien. C’était moi qui ne sortait pas de ce deuil.

Je ne cachais rien à mes parents. Même si je savais que je faisais souvent des choix qu’ils pourraient ne pas apprécier, au lieu de les garder pour moi, j’avais toujours besoin d’aller leur parler et de les convaincre que mes décisions étaient les bonnes. Quand mes frères et soeurs gardaient bien pour eux ce qui concernait leur intimité, moi il fallait que j’aille leur parler de ma sexualité par exemple. Evidemment, cela menait à des engueulades infinies où je criais à l’injustice, et où je m’efforçais à 17 ans de les convaincre que j’étais une adulte responsable. C’était donc devenu presque absurde. Je voulais qu’ils soient fiers de moi, qu’ils aiment tous mes choix, et à la fois j’en faisais sans arrêt qui ne leur allaient pas.

Ecrire tout cela est important, car ça a défini une grande partie de mon identité. Ce que je faisais à la maison, je l’ai reproduit en société. Besoin de plaire, d’être parfaite, de ne jamais décevoir quelqu’un. L’idée même de ne pas être appréciée, même par une personne qui ne me connaît pas, ça me rend malade, et je me remets en question. J’ai mis des années à comprendre. Je suis encore beaucoup comme ça, mais je m’arrange avec le temps. Si j’ai fait le deuil de ce petit garçon qui habitait mes pensées, si je l’ai laissé partir, il a fallu que j’accepte que j’avais autant ma place que lui sur terre. Que bien sûr, jamais il ne décevrait mes parents, puisqu’il n’est plus là, qu’il aurait toujours une place particulière dans leur coeur, mais que ma place existe aussi, à part entière. Un travail quotidien dans ma petite tête…

Et me voilà, à 23 ans, avec une annonce qui allait bouleverser plus que je ne le pensais mon rapport à mes parents. Je l’ai très vite dit à mes frères et soeurs. Je n’avais aucun doute sur leur soutien. Ils sont ouverts d’esprit, et je savais que cela se passerait bien. Mais seulement trois mois après avoir “officialisé” avec Aurore, je ne résistais plus, il fallait que j’en parle à mes parents.

Je savais qu’ils ne me mettraient pas à la porte. Je les connais et je savais qu’ils étaient trop tolérants et aimants pour avoir une réaction aussi violente. Je pensais à ce moment là que mon père serait celui qui réagirait le plus mal. Je me suis dit, c’est un homme, il ne comprendra pas, comme beaucoup d’hommes hétérosexuels, qu’une fille qui aimait les garçons puisse subitement aimer une femme. Et je pensais que ma mère, elle, en tant que femme, comprendrait tout à fait que l’on puisse passer cette ligne.

Le soir de l’annonce, nous étions tous ou presque réunis. A table, nous avons engagé un débat sur l’homosexualité. Je ne crois pas avoir déclenché cette discussion, mais j’y ai participé. Plus nous parlions plus je me disais qu’il était temps pour moi de dire la vérité. J’avais envie de parler de moi, qu’ils comprennent que tous ces homosexuels dont ils parlaient à table, et bien j’en faisais partie.

“À 10, tu le dis…

1, 2, 3.”

Je n’y arriverai pas.

Mon coeur battait à toute vitesse.

Je recommence : “1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 9,5, 9,75…”

Je n’y arrive pas.

Morte de trouille la petite.

D’une seule phrase j’allais tout faire basculer.

D’une seule phrase, je pouvais tout bouleverser. Mais je ne pourrais plus jamais revenir en arrière.

Je le fais ou je ne le fais pas ?

Silence.

Je n’ai pas pu, là, devant eux, dire la vérité, qui j’étais. Pas celle qu’ils espéraient.

J’étais partagée entre cette impression que tout devait se jouer, se dire maintenant, et l’envie de prolonger cette “sécurité” un peu plus longtemps.

“Et si je les décevais au point qu’ils regrettent de m’avoir comme fille ? Et si je passais la limite et qu’ils ne m’aimaient plus ?”

Après le repas, je suis allée marcher dehors, essayer de respirer. Je me retrouvais une fois de plus face à un vide immense, un trou noir dans lequel je devais sauter. Naïvement, je pensais que d’avoir sauté le pas et d’avoir tout quitté pour Aurore serait le seul grand saut à faire, mais non, je devais recommencer, et à nouveau, j’étais là, sans élastique, sur ce pont, seule face au vide.

Mon père est venu me retrouver. Serein, comme d’habitude, calme, apaisant, fumant sa pipe et me regardant.

“Ça va ma chérie ?

“Oui…”

“Ça te touche beaucoup ces discussions que l’on a ?”

“Oui.”

Respire Marie-Clémence.

C’est maintenant.

“Tu sais Papa, je dois te dire quelque chose… Je vous parle tout le temps d’Aurore. Ce n’est pas juste une amie… elle est plus que ça pour moi.”

Je l’ai dit ? Je l’ai dit ?

Silence.

“On s’en doutait avec Maman, tu nous parles de cette Aurore depuis quelques mois et on devinait quelque chose.”

“J’avais peur que vous me rejetiez. Mais je te jure, Papa, je l’aime, c’est réel.”

Mon père, après un temps, dans la nuit, avec ce ton posé et rassurant que j’aime tant, m’a dit cette phrase :

“Tu sais ma chérie, il y a ce que ce que l’on imagine, ce que l’on souhaite, ce que l’on projette pour ses enfants, et il y a ce qu’ils sont. On ne t’aime pas moins parce que ta vie n’est pas celle que l’on avait souhaitée pour toi.”

Cette phrase résonne encore dans ma tête. Oui, c’est ça, moi qui avais tellement peur de décevoir mes parents, de perdre leur amour, mon père, à ce moment là, a dit ce qu’il fallait dire. La vérité. Il avoue à cet instant avoir imaginé des choses pour moi, avoir projeté une autre vie, et il me découvre telle que je suis ce soir là. Telle que je suis. Nous nous rencontrons, en fait.

Et il l’accepte car je crois que cet homme, mon père, l’être le plus porté et dirigé par l’amour que je connaisse, a compris ce que je ressentais et ce qui me guidait. L’Amour.

L’Amour est tout ce qui compte. La seule chose nécessaire, le seul argument.

Cet homme, catholique, qui n’avait jamais fait un pas de travers, la fierté de ses propres parents et de ses enfants, m’assurait ce soir-là de son amour inconditionnel.

Nous avons échangé quelques minutes dehors, je lui ai juste expliqué le sérieux de cette relation. Mais il m’a dit aussi : « Tu sais, ce choix de vie aura des conséquences, est-ce que tu es prête à remettre en question ta vie de mère ? ». Bon, il y avait encore du chemin à parcourir, mais l’essentiel était fait.

Alors que je discutais avec lui dehors, dans la nuit, j’ai réalisé au bout d’un long moment que ma mère était là, dans l’entrebâillement de la porte, en chemise de nuit, comme une enfant qui se cache.

Elle écoutait, oui. Et elle pleurait.

Ma maman, elle, n’a pas compris ce soir-là.

Elle a pris la nouvelle comme un soufflet. D’une violence inouïe. Elle aussi elle avait imaginé beaucoup de choses pour moi. Mais certainement pas ça.

Elle avait l’air tellement déçu. Le regard d’une telle tristesse.

Je suis allée auprès d’elle.

“On s’en doutait avec ton père, mais de là à l’entendre, c’est un choc.”

Je la sentais réellement sous le choc, le regard hagard. Je me suis dit qu’elle avait juste besoin d’entendre quelques arguments, que, comme d’habitude, j’allais devoir expliquer par A+B que tout allait bien, qu’il n’y avait pas de problème, j’ai donc sorti mon laïus sur le fait que l’on aime une personne et pas son genre, qu’il n’y avait aucun mal à aimer une femme, que j’étais heureuse etc.

Mais je sentais dans son regard qu’elle ne m’écoutait pas. Elle ne voyait pas tout ça. Elle a vu les autres. Elle a vu le regard des autres, la sexualité, les petits enfants qu’elle n’aurait pas, sa belle-fille lesbienne qu’elle imaginait “camionneuse”, différente de notre famille, les reproches de ses parents, les regards en coin des gens…

Il y a eu une vraie cassure ce soir-là entre nous. Je suis descendue aussi vite de mon nuage et j’ai compris qu’il y aurait des obstacles. Les mois qui suivirent furent très difficiles. Je suis têtue et je voulais que ma mère accepte la situation. Je lui parlais d’Aurore, de mon amour pour elle, de mon bonheur, espérant qu’en me voyant heureuse comme ça, cela lui suffise pour accepter. Mais ça ne marche pas comme ça, du moins avec elle. Nous avions des discussions compliquées au téléphone, elle pleurait, disait que je lui faisais du mal.

Pour elle, je confondais amitié et amour. Elle m’a dit un jour : « Aurore est plus âgée que toi. Ce que tu ressens, c’est une forte amitié pour cette fille, pas de l’amour, pas l’amour du couple. »

Pour elle, c’était totalement insensé d’avoir aimé jusqu’ici des garçons et de pouvoir tout plaquer pour une femme. Elle me disait aussi qu’elle me connaissait mieux que moi-même et qu’elle « savait » que je n’étais pas comme ça. Elle déprimait complètement et j’assistais, impuissante, à ça. Je commençais à éviter le sujet, ne supportant plus de sentir que je faisais du mal à ma mère.

Mon histoire d’amour était associée à une bêtise. Une connerie d’enfant que l’on me reprochait. Mais je ne voulais pas quitter Aurore. Je voulais faire plaisir à mes parents, j’étais prête à beaucoup, mais pas à ça, je ne pouvais pas. Je ne savais pas quelle attitude adopter. Faire comme si je ne lui avais jamais dit ça, ou alors revenir à la charge, sans arrêt, jusqu’à ce qu’elle accepte. Elle, choisissait la première option visiblement. Lorsque nous nous appelions pour prendre des nouvelles, je ne pouvais dire que « Je », car dès que je disais « Aurore et moi, on a fait ci ou ça… », il s’en suivait un blanc au téléphone puis des soupirs, puis des larmes.

Mon coeur se déchirait. C’est insupportable de sentir que l’on déçoit sa mère à ce point, pour quelque chose qu’on ne peut pas changer. Nous étions déchirées. Elle, prostrée dans son silence, dans ses larmes, et moi impuissante et triste.

 

Merci de m’avoir lue. La suite très vite, j’attends vos retours ❤

MC

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