top of page

L’IMPAIR : Chapitre #7

Pour lire ou relire les chapitres précédents, rendez-vous sur ce lien qui contient l’intégral des parties déjà publiées !

 

Ça y est, je l’avais quitté. Ça y est, nous étions ensemble, abasourdies.

Quelques secondes sont passées qui m’ont semblé durer une éternité. Quelques secondes où nous avons eu peur toutes les deux. Moi, j’avais le sentiment d’être en pleine chute, comme si je venais de basculer d’un pont, un élastique fragile accroché à mon pied, en priant pour ne pas m’écraser violemment sur le sol. Un saut dans le vide. Voici donc ce que je venais de faire pour la première fois de ma vie. Voici donc ce que c’était que de se sentir libre, vivante, de sortir de cette autoroute que j’avais empruntée il y a plusieurs années.

Pas une seule fois depuis notre rencontre, pas une seule fois, elle ne m’avait demandé, sous entendu ou dirigé vers une rupture. Elle ne m’a jamais posé d’ultimatum, elle n’a rien exigé. Elle m’a laissé faire ce chemin. Elle a été d’une patience hors norme. Et ça a payé. Elle a fait ce choix qui a été très difficile, elle a pris un risque énorme en attendant patiemment comme ça. Car j’aurai pu ne jamais quitter mon copain et, comme cela arrive souvent, finir par lui briser le cœur. Mais non, elle savait au fond d’elle qu’elle faisait le bon choix, et qu’elle devait attendre. Elle avait obtenu une garantie précieuse en faisant cela. Il n’y avait aucune chance que je fasse demi tour et que je retourne avec ce garçon. J’étais profondément triste de cette séparation, que je vivais comme un échec, car j’avais aimé donner cette image de couple parfait, la Marie-Clémence qui a une relation stable destinée à durer toute la vie. Mais à la fois, je ne regrettais absolument rien. Je savais qu’il me manquerait, je venais de passer 5 années avec lui où j’avais été heureuse, et je l’aimais.

Depuis ce jour, pas une seule fois, pas une seule seconde je n’ai regretté ce choix. Pas un instant je me suis dit que je pourrais donner une “autre chance” à ce couple avec lui. Et pourtant je pense souvent à lui avec un profond respect, je n’ai jamais eu d’amertume, de désir, de colère, de nostalgie… ou tout autre sentiment que j’ai pu observer lors de séparations dans mon entourage. Et je suis sûre qu’il est bien plus heureux aujourd’hui avec une autre femme qui a dû lui ouvrir d’autres perspectives.

Mais il y avait au delà de tout ça une absolue nécessité de vivre.

Aurore venait de me réveiller, de remuer ma vie, et je voulais la passer avec elle, il ne pouvait plus en être autrement.

Une nouvelle vie démarrait pour nous.

J’étais officiellement en couple avec une femme. Aussi étonnant que cela puisse paraître, cette information ne comptait absolument pas pour moi. Ce qui était fou dans ma tête, c’était de me dire que j’avais quitté mon copain et que j’avais rencontré quelqu’un d’autre. C’est tout. Le fait qu’elle soit une femme, je n’y pensais pas, et c’est, je pense, ce qui a aussi été ma force pour la suite.

Dans cette bascule immense, ce tournant radical, je passais de l’envie de nous cacher du monde extérieur à l’envie de crier à l’univers mon amour pour elle. Tout s’est enchaîné très vite. Dès que nous voyions des amis, nous leur annoncions que nous étions ensemble. Notre entourage proche, nos collègues / amis n’étaient pas surpris. Ils s’en doutaient et étaient plutôt ravis que nous leur annoncions enfin clairement. Ils étaient juste heureux pour nous, heureux qu’on leur donne enfin raison après des mois de questions sans réponses… et épatés par Aurore de m’avoir détournée du “droit chemin” !

Pour mes amis de longue date, ce fut plus long. Parce que mes copines n’étaient pas vraiment préparées à cela. Elles ne me voyaient pas au quotidien avec Aurore depuis des mois, et me connaissaient en couple depuis le lycée, installée. Elles étaient à la fois surprises et amusées je crois de me savoir avec une femme.

J’ai eu la chance globalement de bénéficier de beaucoup de bienveillance de mon entourage quotidien, de nos amis. Je vivais tout cela comme une libération. Et mon amour pour Aurore ne faisait que grandir. Mais il a fallu calmer mes ardeurs assez vite, car j’allais me heurter au regard des gens dans la rue.

Je ne voyais aucun obstacle à nous “montrer” dans les lieux publics. Je ne me posais même pas la question. J’aimais Aurore, nous démarrions notre histoire, alors oui, j’avais envie de lui tenir la main, de me blottir dans ses bras, de l’embrasser etc. C’était pour moi tout à fait naturel. Mais je découvris à ce moment là une facette d’elle que je ne connaissais pas.

Elle repoussait toujours mes “élans” d’amour en public. Elle ne voulait pas me tenir la main. Pas m’embrasser. Nous qui étions dans notre “vie d’avant” extrêmement fusionnelles, tout à coup, elle marquait une rupture forte entre les moments “intimes” et les moments “publics”. Et je ne comprenais pas. Elle me disait qu’elle était mal à l’aise, qu’elle sentait le regard des gens, qu’elle avait peur qu’on nous interpelle.

C’est fou quand on y pense. Aurore s’était toujours affirmée comme homosexuelle, et c’était moi, la petite bourgeoise hétérosexuelle, qui l’incitait à se libérer en public. Le regard des gens ? Je m’en foutais royalement. J’étais tellement fière d’être à ses côtés, tellement fière de nous, que je voulais le montrer au monde. Oui, les gens nous regardaient et nous regardent toujours, et alors ?

Aurore était beaucoup moins à l’aise avec ça. Les regards extérieurs la gênaient. Elle essayait aussi je pense de me protéger, pour que je ne prenne pas de remarque en public qui pourrait me faire regretter d’être avec elle.

Je me souviens parfaitement de la première fois que j’ai pris l’homophobie en pleine face.

Nous étions à un arrêt de bus, un matin, en banlieue. A quelques mètres de nous, une femme est arrivée avec deux enfants de peut-être 7 et 4 ans. Aurore et moi étions en train de parler, tranquillement, jusqu’à ce que la prenne dans mes bras quelques secondes. Nous avons tout de suite senti le regard de cette femme sur nous, qui a pris la main de ses deux garçons et leur a dit, en nous fixant : “Ne regardez pas ça, les enfants, c’est dégueulasse, c’est le diable.” Son regard était tellement méprisant.

Nous n’avons rien répondu, et franchement, cela ne m’a pas touchée. Je ne me sentais pas blessée. Le seul sentiment que j’ai eu, c’est beaucoup de peine pour ses deux enfants, qui nous regardaient, et qui ne comprenaient pas. J’ai eu de la peine pour eux, car je me suis dit que leur mère les condamnait déjà à ne jamais pouvoir être eux-mêmes. Si l’un d’entre eux est aujourd’hui homosexuel, il vivra avec cette image diabolique qu’elle y a associée. Alors j’ai juste souri à ces deux petits. Et ça ne m’a pas déstabilisée une seconde.

C’était donc ma première “expérience homophobe”, et je me sentais prête à affronter les autres. Des remarques dans la rue, on en a essuyé, des hommes qui crient de loin “Hey, les gouines !”, ou encore “Vous avez besoin d’un mec peut-être ?” on en a entendu. Mais que dire ? Ce n’est qu’un besoin d’afficher une virilité débordante, un besoin qu’ont certains hommes de se sentir indispensables à l’épanouissement des femmes. Idem, ça ne me touche pas, j’ai un peu de pitié pour eux à qui on a appris dès le plus jeune âge qu’ils sont des rois.

Cette homophobie ordinaire n’était rien à côté de la grande bataille que j’allais devoir mener : l’annoncer à ma famille.

 

La suite très vite.

MC

bottom of page