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L’IMPAIR : Chapitre #26

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Nous nous sommes lancées dans la grande aventure de la procréation médicalement assistée, la PMA, et toutes les questions que cela peut soulever.

Comment est-ce que ça fonctionne ? Combien ça coûte ? Comment serais-je suivie en France ? Et le donneur, qui est-il, comment est-il choisi ? Je trouvais sur internet des informations dispersées, contradictoires et peu rassurantes.

Début janvier 2017, nous avons donc eu un premier contact téléphonique très court avec la clinique Quiron à San Sebastian en Espagne. Un accueil sympathique, mais plutôt “formel”, nous indiquant que nous allions recevoir un email avec tous les examens médicaux à faire avant notre rencontre. D’ailleurs, ce rendez-vous, il faut le fixer ! Je suis excitée au téléphone, j’ai le coeur qui bat vite, j’ai hâte que la secrétaire me donne la date.

31 mars.

31 mars ???

Nous sommes début janvier, et nous avons rendez-vous le 31 mars ?

Je redescends aussi vite. Comme une enfant gâtée, je boude. Car j’avais imaginé que tout se ferait en quelques semaines, et je suis déjà déçue de cette première échéance. C’est stupide, car c’est déjà merveilleux de pouvoir faire tout ça, mais chaque journée supplémentaire à attendre m’irrite, m’énerve.

Aurore, elle, souffle un coup. Elle semble presque rassurée que ça ne se passe pas trop vite.

Nous entamons donc les semaines qui suivent la longue liste d’examens médicaux : groupe sanguin (pour toutes les deux), taux de progestérone, hystérosalpingographie, frottis, caryotype…  Mais pour pouvoir faire tout cela, il nous faut des ordonnances. Où les trouver ? Qui nous les fournira ? Nous vivons depuis peu à Dax et je ne connais pas encore de gynécologue. Je prends donc rendez-vous avec le premier trouvé sur internet et vaguement recommandé par une copine.

Je suis ressortie de ce rendez-vous en larmes.

Le gynéco, un homme d’une cinquantaine d’années, ayant visiblement de l’expérience, n’a eu aucune considération, empathie pour moi. J’ai tenté timidement de lui expliquer ma démarche, mon désir d’enfant et je lui ai donné la liste d’ordonnances dont j’avais besoin. Il semblait agacé, et m’assommait de questions auxquelles je n’avais pas de réponse.

“Pourquoi ont-ils besoin que vous fassiez tel ou tel examen ?”

– Je n’en sais rien, je sais pas, je fais ce qu’on me dit de faire.

– Celui-là ne sert à rien, c’est ridicule !

Il ne m’aidait pas.

Les questions se sont ensuite portées sur la régularité de mes cycles… J’étais perdue. J’avais 29 ans et j’étais incapable de dire exactement à quelle date seraient mes règles et quel jour j’ovulais. Je n’en savais rien. Je lui donnais des approximations. Et lui, au lieu de me rassurer, ricanait, puis m’a dit, d’un ton méprisant : « Quoi ? Vous ne connaissez pas exactement vos cycles ? Va falloir vous intéresser à tout ça sinon ça marchera jamais ! »

Il y a des femmes qui ont une connaissance parfaite de leur corps, de leurs règles, qui seraient capables de dessiner tout leur appareil génital en détail, moi j’en étais incapable et il trouvait ça ridicule.

Il a soufflé, soupiré, a rédigé les ordonnances sans me regarder, me les a tendues et m’a ouvert la porte.

J’ai fondu en larmes dans le couloir.

Cela peut paraître démesuré, mais je me retrouvais plongée dans un protocole que je ne connaissais pas, je débarquais, et je recherchais juste un médecin auprès de qui trouver des réponses, pas quelqu’un qui se moque de moi.

Je manquais d’assurance et il m’avait donné l’impression de rater un examen d’entrée, de ne pas avoir le niveau suffisant pour pouvoir prétendre à une PMA.

Il était devenu hors de question de retourner le voir, il serait foutu de me passer l’envie de continuer.

J’ai enchaîné les examens médicaux les semaines qui ont suivi, et le 31 mars est finalement arrivé très vite.

Nous avions aussi un certain nombre de documents et contrats à signer. Oui, des contrats. Nous devions donner par écrit notre consentement pour procéder à cette PMA, mais aussi pour accepter que l’anonymat du donneur soit respecté. Nous avons enfin dû aussi remplir un document pour donner nos critères physiques à chacune. Pas ceux que nous souhaitions avoir du donneur, il ne s’agit pas de faire son shopping, mais nous devions nous décrire le plus précisément possible: taille, poids, couleur de peau, des cheveux, des yeux, ethnie… afin qu’ils sélectionnent un donneur le plus proche physiquement d’Aurore.

Nous sommes parties, toutes les deux, en voiture, vers l’inconnu. Nous ne savions absolument pas ce qui allait se passer. J’imaginais que le médecin espagnol allait tout de suite fixer une date pour l’insémination. La semaine suivante ? Dans quelques jours ? Une fois de plus mon impatience prenait le dessus et je ne pensais qu’à ça.

Nous avons été très bien accueillies dans cette clinique. Nous étions stressées et pleines de questions sur ce qui nous attendait. Nous avons rencontré une gynécologue francophone et son assistante. Je suis arrivée, comme une bonne élève, avec ma pile de documents et résultats, que j’ai tendus au médecin.

Lorsque j’ai vu sa moue, j’ai compris que quelque chose n’allait pas.

Elle m’a expliqué que les examens montraient que je n’avais pas ovulé et que mon corps n’était pas franchement prêt à concevoir. Qu’il allait falloir que je suive un traitement de stimulation hormonale. Mais que tout ça ne pourrait pas se faire maintenant.

Pourquoi ?

Car une échographie a montré que j’avais quelque chose. Quelque chose à l’intérieur qui pourrait être dangereux, ou pas. Une petite tâche apparue à l’image. Et moi, têtue comme une mule, j’ai demandé : “Et alors ? C’est sûrement pas grave, on peut faire l’insémination quand même !”.

Le médecin et Aurore ont tenté tant bien que mal de m’expliquer que les choses devaient se faire dans l’ordre, sans précipitation. Et que la priorité restait à vérifier que j’étais en bonne santé. Les larmes sont montées, et la gynécologue m’a tendu un mouchoir. J’étais déçue, encore une fois.

Aussi dénaturant que ce soit lorsque l’on rêve d’un enfant, c’est pourtant une réalité, les cliniques espagnoles attirent les patientes avec des statistiques.

Elle nous a donc parlé chiffres.

A moins de 30 ans, la 1ère insémination nous donne 46,67% de chances de réussite.

Nous avons droit d’essayer jusqu’à quatre inséminations.

Au quatrième échec, la clinique ne nous suivra plus et nous devrons essayer la FIV (fécondation in vitro).

Le pourcentage de réussite augmente à chaque essai, pour finir vers 92%.

21% des inséminations donnent une grossesse multiple.

1500 € l’insémination.

Nous écoutions attentivement, et nous essayions d’enregistrer un maximum d’informations, prenant des notes comme des étudiantes.

Puis elle a sorti de son tiroir tout un tas de seringues, et m’a montré comment j’allais devoir me piquer dans le ventre, tout en griffonnant des schémas sur un bout de papier pour me dire comment allait se passer le protocole : heures de piqûres, jours, ovulation…

Je ne comprenais rien. Elle avait un fort accent espagnol, parlait très vite et je n’osais pas l’interrompre. J’étais comme une enfant à qui on montre pour la première fois comment on fait ses lacets. Je ne comprenais rien.

Aurore non plus ne comprenait pas grand chose. Elle me serrait la main pour me rassurer, mais elle semblait aussi perdue. Moins timide que moi, elle a demandé à la gynécologue de nous donner le petit bout de papier sur lequel elle avait dessiné tous ses schémas.

Il allait donc falloir attendre que je fasse des examens médicaux complémentaires avant d’envisager sérieusement de faire cette PMA. La clinique était formelle, ils ne me toucheraient pas sans avoir la certitude que je n’ai aucun problème.

Je suis sortie de la clinique à la fois déçue de ne pas avoir d’accord pour démarrer la procédure, et heureuse que les choses soient tout de même enclenchées.

A peine rentrée à la maison, je prenais rendez-vous avec un autre gynécologue à Dax pour faire ces examens supplémentaires. S’en est suivie une longue période de frustrations. Peu de médecins disponibles, des temps d’attente à rendre fou, je n’en pouvais plus. Et lorsqu’on m’a annoncé que je subirai la petite intervention sous anesthésie générale pour vérifier l’origine de cette petite tâche le 22 juin, je suis devenue hystérique. Le 22 juin ! Nous étions en avril et j’allais devoir attendre deux mois pour pouvoir faire ce foutu examen qui, j’en étais sûre, n’allait rien montrer de grave.

A chaque sortie de rendez-vous, Aurore me récupérait déprimée, déçue. Ce qui devait être une période d’excitation, de joie, n’était que frustration. Plus les semaines passaient sans qu’il ne se passe rien, plus j’étais énervée et énervante. Et plus je m’en voulais.

Je trouvais un peu de réconfort auprès de deux ou trois amies au courant, ou encore de ma belle-soeur qui savait trouver les mots pour me rassurer et me donner des conseils.

Et lorsque le 22 juin est passé et a confirmé que je n’avais aucun problème, il a fallu se pencher sur une autre question. Qui allait me fournir les ordonnances ? Car les médecins espagnols ne pouvaient pas me prescrire de médicaments à acheter en France. Or la PMA pour toutes y est interdite. J’ai donc pris rendez-vous avec un autre gynécologue, une jeune femme fraîchement installée à Dax. Hors de question de revoir le premier médecin qui m’avait traumatisée.

Celle-ci, lorsque nous lui avons expliqué notre démarche, a reconnu ne jamais avoir eu affaire encore à un couple de femmes et ne pas savoir comment tout cela allait se passer. C’est même nous qui avons dû lui expliquer le protocole. Elle nous a expliqué que légalement, elle n’avait pas le droit de nous accompagner et de nous prescrire le traitement médical, puisque tout cela est interdit. Mais elle l’a fait. Elle a pris le risque de demander à ce que nous soyons prises en charge par la sécurité sociale et nous a fait les ordonnances. J’étais tellement reconnaissante et en même temps je trouvais cela fou d’avoir l’impression de faire quelque chose dans l’illégalité la plus complète alors qu’il s’agissait d’un désir naturel et honnête : être mère.

Le jour du début du traitement est enfin arrivé. J’étais dans un état de stress énorme, surtout que j’allais devoir vivre cela sans Aurore les premiers jours. Seule à Paris pour le travail, je me suis retrouvée dans ma chambre d’hôtel, avec tout mon attirail de seringue et de produits étalé sur mon lit. J’avais peur. Tout cela me paraissait surréaliste. Jamais je n’avais imaginé devoir vivre cela. Je n’étais pas malade et pourtant j’avais l’impression de devoir me soigner. Mon cerveau, mon corps ne comprenaient pas. Quelque chose n’était pas logique.

J’ai appelé Aurore en FaceTime, j’ai posé le téléphone sur le lit. Elle était avec moi, à des centaines de kilomètres. Elle me parlait, me rassurait. Nous avons répété ensemble les différentes étapes pour prendre la seringue, aspirer le produit liquide, le verser ensuite dans le petit flacon de poudre blanche, puis réaspirer le mélange, désinfecter le tout, changer l’aiguille et me piquer dans le ventre, juste à côté du nombril.

Un, deux, trois. On y va.

C’était fait.

C’était lancé.

Mon corps venait d’ingérer des hormones.

J’ai répété ces piqûres pendant plusieurs jours, à heure fixe. Parfois dans les toilettes de mon bureau, parfois à la maison, parfois avec succès, parfois en cassant l’aiguille, en faisant tomber le produit par terre et en me répétant à plusieurs reprises. C’étaient des moments hors du temps. Je n’avais presque même plus conscience que je faisais cela dans le but de tomber enceinte.

C’était mécanique, médical, biologique, manuel, technique.

Je ne ressentais pas de changement particulier sur mon corps ou mes humeurs. Peut-être une sensibilité un peu plus forte, comme une veille de règles, mais cela n’avait rien à voir avec ce que j’avais imaginé, une surcharge hormonale qui me ferait passer du rire aux larmes toutes les deux minutes.

Puis est venue la deuxième semaine de traitement. Il fallait désormais démarrer les échographies et les prises de sang pour évaluer la réaction de mon corps à tout cela. Un jour sur deux, je devais aller faire ces deux examens le matin, puis appeler tout de suite en suivant la clinique espagnole pour donner les résultats. Un coup de fil, j’annonçais des chiffres que je ne comprenais même pas, et je raccrochais. Mon corps ne m’appartenait plus, j’avais l’impression qu’il était entre les mains de la clinique et des équipes des labos français.

Puis un matin, lorsque j’ai appelé la clinique Quiron pour donner une fois de plus des résultats, on m’a fait patienter quelques minutes, puis la femme m’a dit :

“Parfait. Venez demain à 14h pour l’insémination.”

Oh. C’était maintenant, c’était là.

Je m’étais préparée pendant des mois, j’avais attendu à chaque minute, et j’avais l’impression à cet instant d’être prise au dépourvu, de ne jamais avoir été aussi peu prête.

Une dernière piqûre avant de me coucher pour déclencher l’ovulation et nous sommes parties dormir, ou du moins essayer.

Le lendemain, nous nous sommes donc présentées à l’heure devant la clinique. J’étais morte de trouille. Aurore tentait autant que possible de me rassurer, de me faire faire des exercices de respiration dans la voiture pour me détendre. Je ne savais pas comment cela allait se passer, combien de temps cela allait prendre. C’était l’inconnu.

Nous sommes arrivées au rendez-vous et j’ai vu le regard grave de la gynécologue, ce regard qui m’avait déjà déplu quelques mois plus tôt. Elle m’a expliqué que les résultats de la stimulation étaient décevants, que mon corps n’avait pas suffisamment réagi. Elle a même tout de suite évoqué la prochaine insémination alors que la première n’avait pas encore eu lieu.

L’insémination a duré dix minutes à peine. Le médecin a quitté la pièce et m’a demandé de rester allongée un quart d’heure, puis de rentrer chez nous. C’était perturbant, nous sommes ressorties moins d’une heure après être rentrées à la clinique, où je pensais que nous allions passer l’après-midi.

Nous y sommes retournées le lendemain pour une autre insémination, puis l’équipe nous a renvoyées à la maison.

Je devais maintenant attendre quinze jours pour faire un test de grossesse. En attendant, la gynécologue m’a recommandé de ne pas boire d’alcool, de “faire comme si” j’étais enceinte.

Message reçu.

Mais dès le lendemain, j’ai été prise de terribles douleurs au ventre. Et tout ça n’a fait que s’accentuer de jour en jour. Je suis allée voir plusieurs médecins, personne ne pouvait me dire ce que j’avais. J’étais pliée en deux.

Puis au bout de quatre ou cinq jours, en pleine nuit, la douleur est devenue insupportable. Je me suis effondrée dans la salle de bain, Aurore a dû me porter jusqu’au lit. Elle a appelé le SAMU qui est venu. Je pleurais, ne sachant pas ce qui m’arrivait. J’ai été emmenée à l’hôpital en urgence. C’était surréaliste, ces moments que j’avais tant imaginés ces dernières années tournaient au drame.

A l’hôpital, je me tords de douleur, je n’ai jamais eu aussi mal de ma vie. Jamais. Les médecins sont inquiets. Après des heures d’attente et d’examens, toujours aucune idée sur ce qui m’arrive. Mais un mot de l’interne a éclairé cette nuit d’enfer :

“Madame, d’après les résultats des prises de sang, vous seriez enceinte.”

L’insémination a eu lieu seulement cinq jours plus tôt, le résultat est donc à prendre avec des pincettes, car tout est à peine perceptible. Mais cela suffit à apaiser un peu ma douleur.

Les jours qui ont suivi, je suis shootée aux anti-douleurs. J’ai mal, tout le temps. Parfois de manière démesurée, où je tombe par terre dans la maison sans pouvoir me relever. Mais j’y crois, je veux y croire. Chaque jour à attendre le test de grossesse est interminable. Je ne bois pas d’alcool, je fais attention à tout, je guette chaque changement de mon corps. Comme si celui-ci pouvait m’envoyer des signes. Mais il est gonflé, douloureux, j’ai des petits bleus partout autour du nombril, marquant chaque piqûre.

Le 25 juillet, je suis en Bourgogne chez mes parents.

Je me réveille avec un mal de ventre. Je comprends tout de suite que je dois me préparer à l’échec. Je me lève et je file faire ce test de grossesse que j’attends depuis quinze longs jours. Il est négatif et je saigne. Je me sens vide, en souffrance, pleine de tristesse et un sentiment d’injustice immense.

Depuis l’insémination, je me sens enceinte, je me suis comportée comme une femme enceinte. Mais ce matin, j’ai tout perdu, j’ai l’impression de ne pas avoir été à la hauteur, que mon corps a échoué. Mais il faut accepter. Tout de suite. Mon corps a tellement souffert depuis un mois. Il ne m’appartenait plus, il n’était qu’un tas d’hormones. J’ai l’impression d’avoir tout donné, d’avoir livré mon ventre à ces tests, ces piqûres, ces ovules, ces médicaments, ces échographies, ces prises de sang, ces avis médicaux, amicaux, et de ne pas avoir réussi à m’écouter, moi.

Je ressens aussi une forme de soulagement, car quinze jours, ce n’est pas grand chose, mais c’est énorme. Enorme lorsqu’on a décidé de se lancer dans l’aventure il y a huit mois.

L’idée même de reprendre les traitements, l’attente, les rendez-vous, les douleurs, cela me donne envie de vomir. Alors je pense aux autres couples qui vivent des situations comme celle-ci depuis plusieurs années et que je me dois d’être forte, que je n’en suis qu’à notre premier échec.

Je me sers un verre de vin, pour me laisser souffler un peu.

Et je dois cacher cet échec à mes parents qui, bien sûr, ne sont au courant de rien. La journée est douloureuse, je suis si triste et j’essaie de ne rien montrer. Heureusement mon frère et ma belle-soeur sont là, et cette dernière m’apporte une fois de plus soutien et réconfort.

Je pleure dans les bras d’Aurore car je ne veux pas recommencer. Je ne veux pas attendre à nouveau, je ne veux pas revivre tout ça. Mais nous n’avons pas d’autre option, nous n’allons pas attendre que je tombe enceinte par magie. Car il n’y a rien de magique à tout ça. J’avais imaginé dans mon enfance que tout se passerait de manière naturelle, heureuse, j’avais ensuite imaginé en rencontrant Aurore que la PMA ne serait qu’une formalité.

Mais non, cela me demandait de puiser dans mes ressources, mon énergie, mon amour pour Aurore, mon désir si profond d’être mère, de repousser mes limites de patience, moi qui déteste attendre.

Je décide d’y retourner tout de suite, tant pis. Il faut y aller. Mais Aurore ne veut pas, elle m’a trop vue souffrir ces dernières semaines, elle veut que je laisse mon corps souffler un peu. Je râle, je ne supporte plus d’attendre, mais je sais qu’elle a raison.

Si nous décidons au départ de laisser passer un cycle, le traitement est finalement suspendu près de trois mois.

En août, Aurore perd celle qui l’a élevée comme sa propre fille : sa grand-mère. Après la disparition deux ans plus tôt de son grand-père, elle vit à nouveau un bouleversement et un deuil difficile. Et bien sûr, nous n’avons plus la tête à cette PMA.

En octobre, nous nous lançons à nouveau. Cette fois-ci, la clinique espagnole veut doubler la dose. Mais nous rencontrons un nouveau problème. La gynécologue française y est réticente cette fois-ci. Elle nous indique que le dosage que j’avais au premier essai correspond déjà à un dosage pour FIV en France, soit très fort, et que doubler la dose comme le préconise l’Espagne, c’est inimaginable ici, voire risqué.

Alors j’appelle la clinique Quiron, qui maintient qu’il faut doubler si je veux des résultats. Je suis prise entre les deux. Mais je suis têtue, je veux que ça marche. Je ne veux pas d’autre échec. Alors on double.

Nous reprenons tout le protocole, et les douleurs qui vont avec. Nouveau passage aux urgences, à Paris cette fois-ci. Mon ventre enfle. Les médecins m’annoncent que j’ai fait une hyper-stimulation ovarienne, due au surdosage.

Je n’en peux plus. Je suis épuisée, je ne dors pas.

Je regarde mon ventre comme mon pire ennemi, lui qui semble ne pas vouloir de tout ça, qui ne m’aide pas. Mon corps que je pensais connaître ne m’obéit plus.

Je n’en peux plus d’attendre.

Je me gave d’oursons en chocolat offerts par une collègue et amie qui est au courant de ce que je vis. J’en mange des dizaines, du coup j’ai mal au ventre, et je panique encore plus. J’ai l’impression que chaque photo, vidéo sur Instagram, Youtube, à la télévision me montre des jeunes femmes enceintes et heureuses.

Nous sommes le 7 novembre et demain, c’est le jour du test de grossesse. Je m’imagine que c’est négatif, et j’en ai déjà les larmes aux yeux. Puis j’imagine que c’est positif et je me culpabilise de me projeter et d’oser imaginer le meilleur. A rendre folle. Je me sens stupide que cela tourne à l’obsession.

Je me couche angoissée, stressée, le test de grossesse prêt à côté de moi.

Je me réveille à 3h du matin avec une crise d’angoisse. Mon coeur bat à toute vitesse, je n’arrive plus à respirer, je suffoque. Impossible de me rendormir. Tant pis, je vais le faire ce test, maintenant, j’ai trop attendu. Je vais aux toilettes, je tremble de tout mon corps, je ne sais pas si je suis prête à encaisser une mauvaise nouvelle.

La maison et la rue sont plongées dans le noir, dans le silence. Et je me sens toute petite face à ce petit objet qui va m’annoncer ou pas la nouvelle que j’attends tant.

Immédiatement, une barre horizontale apparaît sur le test.

Négatif.

Je fonds en larmes.

Je tremble et je pleure.

Je suis assise sur le carrelage de la salle de bains.

Je pleure.

Je pleure.

Ça n’a pas marché. Encore.

Je me relève.

Je me lave les mains.

Alors que je m’apprête à jeter le test que j’ai envie de briser en deux, je vois une barre verticale qui  apparaît petit à petit et un « + » se forme.

Oh mon Dieu.

Ça a marché.

Ça a marché.

Ça a marché.

Je suis enceinte.

Je suis à la limite de la crise de nerfs.

Je respire et je retourne au lit. Aurore m’a entendue me lever.

« Je peux te montrer quelque chose ? »

Je lui tends le test.

C’est parti.

L’aventure commence.

Aurore est heureuse, mais elle ne réalise pas je crois. Elle semble surtout soulagée que tout soit terminé. Elle aussi a fait preuve de patience pour me supporter dans mes angoisses et mes douleurs depuis des mois. Elle redoutait un échec supplémentaire car elle redoutait ma réaction.

Nous restons très prudentes sur le résultat. J’ai envie de sauter de joie et je sais aussi que tout est très fragile. Que les fausses-couches sont fréquentes et les médecins m’ont bien expliqué que ma grossesse ne serait considérée comme “normale” qu’à partir de trois mois.

Tout semble irréel, j’ai presque du mal à intégrer dans ma tête que je suis bel et bien enceinte. Que nous allons avoir un enfant dans quelques mois.

Alors je m’apaise, je décide d’arrêter cette guerre que je me fais depuis des mois, d’arrêter de m’acharner, d’angoisser, de faire de tout ça quelque chose de négatif alors que je vis un des moments les plus bouleversants de ma vie. Je réalise que j’ai beaucoup de chance que tout ai fonctionné si vite, quand d’autres couples, homosexuels ou hétérosexuels, mettent parfois des années à avoir un enfant. Lorsqu’on a ça en tête, on ne relativise plus, on ne pense qu’à soi.

Je me concentre et je me projette.

L’avenir est à nous. Tout est à venir.

Et je pense à mes parents, à qui il faudra bien le dire.

 

Merci, merci pour vos messages si nombreux, vos commentaires, vos mots en privé. Merci.

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