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L’IMPAIR : Chapitre #19

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Les fiançailles sont une période importante dans la préparation d’un mariage. Pour tous les couples. C’est un temps qui mélange excitation, hâte, peur, et qui déclenche souvent des questionnements que l’on ne soupçonnait pas.

Nous n’y avons pas échappé.

Aurore et moi nous sommes lancées dans l’organisation de notre mariage. Je n’avais comme modèle que ceux de ma famille, avec plus de deux cents personnes, des lieux incroyables, des robes blanches longues et magnifiques, des enfants d’honneur, des cérémonies religieuses, de grands dîners… Aurore, elle, n’avait aucune référence, mais savait qu’elle ne voulait pas de tout cela.

Je voulais que nous formions une équipe pour organiser ce grand jour, mais plus les semaines passaient, plus je sentais qu’elle ne se retrouvait pas dans mes désirs.

Elle vivait aussi une période très compliquée. Début 2015, elle a perdu son seul repère masculin et paternel, son grand-père. L’homme qui l’avait élevée et lui avait, avec sa grand-mère, offert un semblant de stabilité familiale et affective dans son enfance. Lorsque j’ai rencontré Aurore, elle était forte, endurcie, ne laissant rien paraître de ses faiblesses, n’en n’ayant même pas conscience. Elle me racontait son histoire personnelle, et je me demandais toujours comment elle avait pu arriver jusque ici debout. Mais notre relation apaisée, sereine et saine, au lieu de lui donner encore plus de force, lui a subitement fait baisser sa garde et l’a plongée dans une profonde détresse. Elle qui avait vécu depuis l’enfance dans un perpétuel état de survie, se retrouvait d’un coup face à un calme plat, un bonheur sans nuages. Elle était envahie d’incertitudes. Comme les soldats après la guerre. Elle avait soudain peur de tout et n’était plus sûre de rien, alors que tout allait bien, enfin.

Le mariage et notre avenir sont donc devenus pour elle des angoisses. Je savais que ses peurs n’étaient pas fondées, qu’elle transposait tout cela sur nous, qu’il s’agissait en réalité de son passé qu’elle prenait en pleine face et du manque de son grand-père, mais tout se mélangeait dans sa tête.

Je me retrouvais donc entre mes parents qui ne se réjouissaient pas de notre union, et une future épouse prise de panique qui ne s’investissait pas.

Tout implosait.

Du côté de mes parents, j’évitais le sujet, et eux aussi. Malgré tout, ils s’investissaient matériellement dans cet événement, en le finançant largement, de la même manière que celui de mon frère et ma soeur. Lorsqu’ils nous ont annoncé qu’ils souhaitaient participer aux frais comme pour chacun de leurs enfants, je ne m’y attendais pas. Aurore et moi avons même d’abord refusé, car nous voulions tout payer nous même, et cela nous gênait qu’ils dépensent de l’argent pour ce mariage qu’ils n’avaient pas souhaité, mais c’est même ma mère qui a insisté ce jour-là, en disant qu’elle ne ferait aucune différence avec les autres enfants.

Cela montrait une forme d’investissement, mais d’un autre côté, ils ne me parlaient jamais du mariage.

J’avais besoin de plus, ou d’autre chose du moins. Ma mère me manquait terriblement. Je rêvais tellement qu’elle soit heureuse et fière de marier sa fille. J’avais tellement envie de partager toute cette préparation avec elle. Mais c’était impossible, elle était trop triste de tout ça.

J’avais par exemple imaginé, comme dans les films, l’avoir avec moi pour choisir ma robe de mariée. Une belle robe longue, comme mes cousines avaient pu en porter, et ma mère, me regardant, émue.

Je voulais, comme la tradition le veut, qu’Aurore découvre ma robe le jour J. Lors du premier essayage, j’avais convié une de mes témoins. Je suis arrivée à la boutique, et mon amie était très en retard. Je me suis retrouvée seule, dans la cabine d’essayage. J’étais tellement loin du moment que j’avais imaginé.

La vendeuse m’a apporté quelques robes que j’avais sélectionnées. J’ai enfilé la première qui ressemblait aux modèles que j’avais vus dans ma famille et dont je rêvais. Alors que la dame ajustait le tissu, je me suis regardée dans l’immense miroir et les larmes sont venues.

Rien n’allait.

Je me sentais seule.

Ma mère n’était pas là.

Ma future femme se mariait pour me faire plaisir.

Et cette robe ne m’allait pas du tout.

Je ne me reconnaissais plus, j’étais ridicule.

Je ne voyais rien de beau dans le miroir, rien de ces moments magiques que j’avais imaginés. C’était pourtant la tenue dont j’avais rêvé et elle ne m’allait pas. Pourquoi ?

J’ai multiplié les essayages, mais rien à faire, je ne trouvais rien, je me sentais laide, déguisée.

Cette problématique de robe était en fait purement superficielle, elle montrait mes angoisses. Je voulais que mon mariage ressemble à mes repères, je me butais à ne pas vouloir de différence. Mais c’était différent, et je ne l’acceptais pas.

J’avais besoin d’Aurore. C’était à son tour de me rassurer sur l’avenir, sur ce que nous faisions. J’avais besoin de savoir que je n’étais pas seule. Que nous étions deux à avancer. J’essayais de lui montrer depuis le début que j’étais sûre de moi, de nous, que ce mariage était une bonne chose, que nous allions construire une famille etc. Je ne lui montrais rien de mes craintes pour ne surtout pas lui faire encore plus peur. J’ai finalement cédé un jour, et je lui ai demandé de prendre toutes ses forces, de m’aider, de nous aider, à nous préparer pour un mariage qui nous ressemblerait à toutes les deux.

Aurore s’est réveillée et m’a reprise en mains. Elle est venue avec moi choisir ma robe de mariée. “Les robes longues ne te vont pas.”, me disait-elle. Mais je voulais une robe avec un voile et une traine comme toutes les autres femmes que je connaissais. J’ai accepté de lui faire confiance, et nous avons demandé à la vendeuse de m’apporter une robe courte, sans artifices. Elle était toute simple, et ne ressemblait en rien à ce que j’avais pu imaginer.

Je l’ai mise. C’était évident. C’était ce modèle qu’il me fallait. Je regardais mon reflet dans le miroir et je me retrouvais pour la première fois depuis longtemps, je me reconnaissais. Cette robe m’allait, c’était celle qu’il me fallait, elle me ressemblait, tout simplement.

J’ai repris confiance ce jour-là. J’ai compris que je devais une fois de plus laisser mes rêves de petites filles qui, décidément, s’accrochaient beaucoup à moi à chaque étape de ma vie ! Je ne voulais pas juste un mariage à tout prix, je voulais un mariage avec Aurore.

Elle aussi fut rassurée de voir que je cédais enfin un peu. J’étais désormais prête à lui laisser de la place. Si elle n’avait pas vraiment d’idéal de cérémonie en tête, elle savait qu’elle voulait quelque chose de simple et convivial. Je l’écoutais donc enfin beaucoup plus lorsqu’elle me suggérait des idées. Elle avait fait un pas vers moi en acceptant de se marier, c’était à moi aussi d’avancer vers elle.

Vint le moment d’envoyer les cartons d’invitation. Le grand dilemme face auquel je me retrouvais était de savoir si j’invitais ou non toute ma famille. Et spécifiquement ceux qui, je le savais, avaient manifesté longtemps contre le mariage. J’étais en droit de ne pas vouloir qu’ils soient là, puisqu’ils avaient tout fait pour m’empêcher de vivre ce moment. Mais j’ai choisi d’envoyer une invitation à tout le monde. Je n’ai exclu personne, à part une de mes tantes qui avait fait preuve de trop de violence par le passé. Pour les autres, tout le monde a reçu une carte.

J’ai eu des réponses positives, et j’ai eu des réponses négatives de différents types. Il y a eu ceux qui, je le savais, ne pouvaient vraiment pas venir, mais auraient été heureux d’être avec nous. Il y a aussi eu ceux qui ne voulaient pas venir, et ont trouvé une fausse excuse. Mais cela ne me touchait pas, ça n’avait plus d’importance.

Je retiens juste parmi les réponses celle d’un de mes cousins et sa femme, qui nous ont écrit une carte pour décliner l’invitation, prétextant un autre événement à cette même date (ce n’était pas le cas, je le savais). Le mot était accompagné d’un chèque en cadeau, ce qui me toucha sur l’instant, car je connaissais leur position radicale sur le mariage homosexuel. Mais le début de leur réponse me laissa perplexe.

“Cher Aurore, chère Marie-Clémence…”

A une faute d’orthographe près, ce n’était pas insultant, dommage.

L’attente des réponses positives ou négatives était ma dernière source de stress dans cette période de préparation. Je savais maintenant qui serait ou non présent, je pouvais souffler. Il n’y aurait donc pas deux cents personnes à mon mariage, plutôt quatre vingt, mais uniquement celles qui avaient envie d’être là, vraiment.

Quelques semaines avant le grand jour, j’ai reçu la dernière chose qui me manquait pour être prête.

Un dimanche, j’ai appelé mes parents pour prendre des nouvelles. J’espérais tomber, comme à chaque fois, sur mon père, pour pouvoir parler librement du jour J. Je ne parlais toujours pas de l’événement avec ma mère. Le mot était absolument banni de nos discussions, qui se faisaient du coup plutôt rares. Je souffrais vraiment de ne pas l’avoir à mes côtés pour l’organisation, la décoration, comme elle l’avait été pour mes frères et soeurs. C’est elle qui a répondu au téléphone. Nous avons donc échangé quelques banalités, tout en évitant le sujet. Comme je cherchais à alimenter la discussion, je décidais de lui parler d’une de mes découvertes récentes :

“Maman, tu connais Pinterest ? J’ai découvert l’appli, ça te plairait, il y a plein d’idées de DIY, comme tu aimes beaucoup ça.”

“Oui, bien sûr, je connais. Pourquoi tu vas sur Pinterest maintenant ?”

Je ne savais pas quoi répondre. J’allais sur Pinterest pour chercher désespérément des idées de déco pour mon mariage. Fallait-il prononcer le mot interdit ou mentir ?

“… Pour le mariage… je cherche des idées de petits cadeaux pour les invités.”

Ma mère laissa un temps, prise au dépourvu.

Après un silence :

“… Si tu veux, je peux t’aider à fabriquer ces petits cadeaux, dis moi ce que tu imagines, je vais voir comment les faire.”

Oh.

Etait-ce réel ? Ma mère venait de me proposer, après près d’un an de silence, de participer à la déco de mon mariage !

Cela peut paraître ridicule, mais j’étais bouleversée. Absolument bouleversée. Je n’ai rien laissé paraître au téléphone, mais à l’instant où j’ai raccroché, j’ai fondu en larmes. J’étais soulagée.

Ma mère, dont j’avais tant besoin, montrait de l’intérêt pour mon mariage.

Ma mère, dont j’avais tant besoin, me prouvait son amour avec ce qui peut paraître de l’ordre du détail, mais qui, pour elle comme pour moi, représentait beaucoup plus.

Elle allait m’accompagner pour la dernière ligne droite, et tant pis pour les mois d’absence avant. On s’en fout. Elle était là, maintenant, là.

Et elle a tenu parole. Elle s’est tout d’un coup réveillée et s’est investie dans les derniers préparatifs. Tout cela s’est fait avec beaucoup de discrétion, beaucoup de pudeur pour toutes les deux, mais il y avait quelque chose, ça existait, j’étais heureuse. Non elle ne se réjouissait pas de ce mariage, de cette histoire d’amour, mais elle allait jouer son rôle du mieux possible, car je suis sa fille. Et c’était le plus beau cadeau qu’elle pouvait me faire. Me montrer que mon bonheur comptait pour elle.

Aurore et moi étions donc enfin prêtes pour le grand jour. Le 20 juin 2015.

Nous avions choisi de nous marier fin août, mais le lieu de réception n’avait plus que cette date de disponible. C’est parce qu’elle contenait un cadeau.

20 juin 2015 : la Saint Silvère.

Silvère. Notre ami décédé en 2010 qui avait fait basculer ma vie du bon côté. Quelle émotion de découvrir ce clin d’oeil de l’au-delà.

Nous serons finalement bien accompagnées, ce 20 juin 2015.

 

Merci de m’avoir lue jusqu’ici ! Prochain chapitre, on parlera de ce fameux 20 juin 😉

MC

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