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L’IMPAIR : Chapitre #15

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En 2013, ce fut le tour de ma plus petite soeur de se marier. Encore une fois, j’espérais tellement qu’Aurore soit invitée. Mais j’étais aussi réaliste. Si, pour le mariage de mon frère, mes grands-parents n’avaient pas pu venir à cause de la distance, je savais qu’ils seraient présents pour celui de ma soeur. Et ma mère était toujours bloquée au même stade. Le temps avait passé depuis l’annonce, Aurore était totalement intégrée à la famille, proche de mes parents et de mes frères et soeurs. Ma mère et elle s’entendaient de mieux en mieux, mais avec toujours ce blocage de nous accepter en tant que couple.

Pour moi, il était totalement envisageable qu’Aurore soit invitée à cet événement familial, même avec la présence de mes grands-parents. Un mariage avec près de deux cents personnes, elle serait passée inaperçue. Mes grands-parents n’étant pas les plus sociables du monde, ils ne se seraient même pas interrogés sur la présence de cette femme à mes côtés. Ils étaient tellement loin d’imaginer cette situation pour moi, j’aurai pu embrasser Aurore devant eux qu’ils n’y auraient pas cru ! Mais je n’osais pas poser la question à mes parents, ni à ma soeur et mon beau-frère. J’avais peur. Peur de leur réponse, peur qu’ils soient gênés, peur d’être à nouveau celle qui créé le malaise, celle qui chamboule tout le monde, qui brise l’état de bonheur et d’excitation, l’épine au pied.

J’attendais de leur part que l’un d’eux vienne à moi, à nous, pour en discuter.

Mais il s’est passé quelque chose de plus difficile encore. Le sujet n’a pas été réellement abordé. Une fois seulement, à un repas de famille, ma petite soeur a demandé en toute innocence comment Aurore allait être présentée le jour J devant la famille. Cela a créé un malaise immense, et face à ce silence de mort, Aurore a désamorcé la situation en disant qu’elle ne voulait pas créer de problèmes.

Pendant toute la préparation du mariage, ce point n’est pas ressorti. Encore une fois, comme un consensus général, comme si c’était la normalité, Aurore n’a pas été invitée. Pour ne pas stresser mes parents, pour ne pas créer de problèmes. Je décidais, encore une fois, de me taire. J’étais tellement blessée. Blessée pour Aurore qui vivait un rejet frontal de la part de ma famille, blessée pour moi qui n’avait pas le droit au même traitement que mes autres frères et soeurs qui, eux, pouvaient bien sûr venir avec leur moitié.

Ce qui me mettait en colère, c’était que personne n’en parle. Que ce soit “normal”. Jamais Aurore ne se serait battue pour être invitée, ce n’est pas son genre, et jamais je n’aurai insisté, cela aurait été gênant. Qui a envie de mendier une invitation à un mariage ? Nous avions notre fierté aussi. Mais je pensais qu’à un moment, quelqu’un de cette famille viendrait à nous, juste pour montrer qu’il avait conscience que la situation pouvait être blessante.

Aurore n’en voulait absolument pas à ma soeur et mon beau-frère. Elle les adorait tout comme mes autres frères et soeurs, et elle savait que dans ce type de mariage, de bonne famille, avec beaucoup de monde, où ce sont les parents qui reçoivent, les mariés n’ont pas toujours leur mot à dire malheureusement. Et je savais aussi qu’ils étaient très pris par l’organisation de cet événement si important pour eux. Ils n’ont pas délibérément voulu nous écarter, ils n’y ont juste pas pensé.

J’en voulais un peu à mon père cette fois-ci qui, je trouve, ne se battait pas beaucoup. Lui aussi très enjoué à l’idée de marier la petite dernière, j’ai eu la sensation qu’il avait oublié de me défendre ou au moins d’essayer de trouver une solution. Lui, l’homme de dialogue, s’est un peu caché pendant cette période. Il ne venait même pas à moi pour me dire un mot, me soutenir, chose qu’il faisait pourtant depuis le début.

Le jour du mariage, j’ai eu la sensation de revivre la même chose qu’au premier. J’étais à nouveau l’impair. Marie-Clémence, officiellement célibataire devant la bonne société. Mais Marie-Clémence n’est pas célibataire. Marie-Clémence est en couple, amoureuse, pacsée. Tout ceci est un énorme mensonge.

J’ai tout fait, toute la journée et les jours précédents, pour aider au maximum à la préparation. J’installais les tables, je me rendais utile partout, je redoublais d’énergie, de motivation, de sourires. Tout pour être irréprochable, et pour ne pas penser. Ne pas penser qu’Aurore n’était pas avec moi. Encore une fois.

Le soir de la fête, lors des traditionnels discours, nous nous sommes retrouvés avec mon frère et ma soeur pour dire un mot devant l’assemblée en l’honneur de notre petite soeur, devenue grande. Et nous avions prévu un montage de vidéos et photos. C’est Aurore qui avait fait ce montage. En sachant qu’elle ne serait pas là, pas invitée, elle avait passé des heures à faire ce montage, créer ce film. Elle avait tout de même tenu à participer à ce moment de famille, à sa manière. Le montage était super, drôle, émouvant. Et mon autre soeur, à la fin de la diffusion, a dit devant tout le monde : “Merci à Aurore qui n’est pas là ce soir, pour avoir fait tout ce montage.” J’avais les larmes aux yeux, la gorge nouée. Et ce moment devint cocasse quand tout le monde se mit à applaudir et que les invités, ne sachant pas qui était Aurore, se sont mis à scander son nom. Mes grands-parents applaudissaient sans savoir qu’ils félicitaient la compagne de leur petite-fille.

Aurore n’était pas là, mais elle irradiait et envoyait son amour. C’était, involontairement, un énorme pied de nez à cette situation de rejet que nous vivions. Je crois que les jeunes mariés ont compris aussi à ce moment là qu’il y avait une absente. Je crois qu’ils ont réalisé que tout le monde avait un peu oublié qu’ils avaient tous écarté, par leur silence, leur belle-soeur.

Ma petite soeur est d’ailleurs venue me parler et s’excuser en fin de soirée, et avec mon beau-frère, ils ont souvent exprimé leurs regrets. Jamais Aurore ne leur en a voulu, et moi non plus.

Dans les jours qui suivaient, j’en voulais plus à mes parents. J’étais en colère que cela se soit passé si facilement pour eux encore. Que tout cela soit passé comme une lettre à la poste. Je n’avais pas bronché, Aurore non plus. C’était trop simple. Et comme toujours lorsqu’on décide de choisir le silence, on finit par éclater. C’est ce qui s’est passé pour moi quelques temps après, où ma colère est ressortie d’un coup lors d’un repas. J’ai dit à mes parents combien j’avais été blessée de cette situation si injuste. Qu’ils ne pouvaient pas faire comme si Aurore faisait partie de la famille toute l’année, et d’un coup, lorsqu’il s’agit de vie publique, l’écarter si facilement, sans la moindre excuse ou la moindre gêne. Aurore ne disait rien, mais je l’ai sentie blessée. Elle encaissait toutes ces situations depuis longtemps déjà, avec une patience sans bornes, mais il y a des limites à tout.

Du côté de la famille d’Aurore, notre couple bénéficiait d’un accueil radicalement différent. Elevée par ses grands-parents, ces derniers ne se sont jamais mêlés de sa vie amoureuse, et se sont toujours uniquement préoccupés de savoir si elle était heureuse. Si nous ne disions pas les choses “officiellement”, si nous ne nous affichions pas par des gestes tendres devant eux, ils n’ont jamais posé de question, et m’ont acceptée dans la famille immédiatement. Sa mère et sa soeur semblaient plutôt surprises du “style” de fille qu’Aurore avait choisie. J’étais très réservée, polie, douce, très BCBG, un peu coincée, et je débarquais dans cette belle-famille fantasque, déstructurée, bruyante et débordante d’amour. J’ai, petit à petit, réussi à faire ma place aussi. Jamais on ne m’a fait sentir différente d’eux, mais je sais que j’ai réussi à faire “mes preuves” en apaisant Aurore. Ils le sentaient je pense. Elle trouvait une stabilité, ils savaient que jamais je ne lui ferais de mal, et cela leur suffisait.

 

J’attends comme chaque semaine vos retours ! Merci de me lire ❤

MC

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